Cinéma, Le topic du 7e art |
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Cinéma, Le topic du 7e art |
27/07/2019 09:04
Message
#23541
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![]() ROMAN ROY ENTHUSIAST ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,196 Inscrit : 19/01/2009 Membre no 612 Tribune : Canapé |
C’est un très grand film.
-------------------- Flex.
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27/07/2019 09:21
Message
#23542
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Dieu tout-puissant ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,572 Inscrit : 12/01/2009 Membre no 502 Tribune : Non précisée |
Bon bah soit tu vas adorer, soit détester
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27/07/2019 10:05
Message
#23543
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![]() Débats claqués sur commande Groupe : Spiritually Banned Messages : 26,653 Inscrit : 30/07/2009 Membre no 1,171 Tribune : Non précisée |
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27/07/2019 10:31
Message
#23544
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![]() Pilier du forum ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 10,264 Inscrit : 18/01/2009 Membre no 595 Tribune : Viré du stade |
Cruising.
Al Pacino en six films cultes (3/6). Le tournage de ce film très cru de 1980 sur le milieu gay SM de New York, de William Friedkin, a beaucoup éprouvé l’acteur. Il lui offre pourtant un de ses rôles les plus emblématiques. New York, 2 juillet 1979, 8 heures du matin. William Friedkin attend Al Pacino devant le palais de justice de New York, pour le premier jour du tournage de Cruising. Le réalisateur de French Connection (1971) et de L’Exorciste (1973) doit filmer dans un bureau où l’officier de police incarné par Al Pacino reçoit son ordre de mission pour s’infiltrer dans les boîtes gay sadomasochistes (SM), situées dans le Meatpacking District, le quartier des entrepôts de viande. Un tueur sévit dans ces clubs très privés et vise des victimes au physique comparable à celui du policier. Il servira d’appât. A 10 heures, toujours pas de Pacino. Affolé, William Friedkin tente de lui téléphoner à son appartement, puis il appelle son agent. Sans succès. A se demander si l’acteur n’a pas décidé de se retirer du film sans en avertir quiconque. En 1979, Al Pacino vient d’avoir 39 ans. Si on l’observe bien, les premiers signes de vieillissement sont là : des poches sous les yeux, une peau tuméfiée, deux rides verticales qui cadrent le nez. La dureté du visage est inédite. Cette sécheresse est d’autant plus frappante que tout au long de la décennie 1970, l’acteur est passé du statut de quasi-inconnu à celui de plus grand acteur du monde, après les succès du Parrain I et II, de Francis Ford Coppola (1972 et 1974), de Serpico (1973) et d’Un après-midi de chien (1975), de Sidney Lumet. A chaque fois, la jeunesse de Pacino a frappé les esprits. Lorsque John Travolta, en 1977, dans La Fièvre du samedi soir, se coiffe en répétant des pas de danse, il a pour référence le portrait de Pacino barbu dans Serpico. C’est le signe qu’il est à la fois une icône de la culture populaire et un modèle pour les Italo-Américains. Avec la disparition de son allure juvénile, c’est une époque dont il faut se résoudre à tourner la page, précisément l’hédonisme des années disco dont La Fièvre du samedi soir constitue le document filmé par excellence. Pacino a d’autant plus de mal à regarder dans le rétroviseur qu’il a vécu les années 1970 à la manière d’un ouragan, sans en garder vraiment des souvenirs. Du reste, il ne peut que constater son amnésie. « Il serait honnête de reconnaître que j’étais absent, estime Pacino dans un entretien au New Yorker, en 2014. Ces bouleversements se montraient impossibles à gérer, pour moi, pour n’importe qui en fait. » Un comportement déjà erratique L’alcool joue un rôle-clé dans cette mémoire versatile. Pacino ne se contente pas d’être un buveur invétéré, il s’en vante. « Laurence Olivier avait raison quand il disait que la meilleure chose, au théâtre, c’est le petit verre après le spectacle », confie-t-il en 1975. Dix ans plus tard et alors qu’il a suivi une cure de désintoxication en 1977, il tient un discours autrement plus douloureux sur son addiction : « Petit à petit, j’ai compris ce que je pouvais devenir si je décidais d’arrêter. Alors, j’ai arrêté, lentement. Et les choses se sont éclaircies. Mais juste un peu… » Ce jeudi 2 juillet 1979, vers 10 h 30, Pacino gare sa voiture devant le palais de justice de New York. L’acteur en sort tranquillement, prend William Friedkin dans ses bras, puis demande au réalisateur ce qui est prévu. Il devrait le savoir. Il est immergé depuis des mois dans les clubs gay SM. Mais son comportement, en marge du travail de fond auquel il s’oblige pour chaque film, et qui a fait sa réputation, se révèle déjà erratique. « Pacino logeait dans un appartement d’East Manhattan, habité auparavant par Louis Malle et Candice Bergen, se souvient Friedkin. Le lieu restait intact, les photos du réalisateur français et de l’actrice américaine étaient toujours accrochées au mur. Seuls les habits de Pacino, jetés au sol, laissaient entendre qu’il habitait ici. On aurait cru un vagabond, mais Al vivait de cette manière. Il s’est mis ensuite à débarquer chez moi, au milieu de la nuit. Je lui disais de se faire un thé et un sandwich, puis je retournais me coucher. Quand je me levais, vers 6 heures, il n’avait pas bougé de la cuisine. Il n’avait pas bu de thé, car il ne savait pas en faire. Il n’avait pas non plus pris de sandwich, ne sachant pas non plus comment couper une tranche de pain. » Plusieurs événements réels s’entremêlent, qui vont donner naissance à Cruising. En 1979, le magazine Village Voice, sous la plume d’Arthur Bell, le journaliste qui suit alors la communauté homosexuelle de New York, rend compte d’une série de morts inexpliquées dans ce milieu, mais aussi de meurtres commis dans le West Village, dans des clubs SM du Meatpacking District. Il n’existe pas encore de nom pour qualifier le sida. Pour une raison inconnue, le nombre de décès des homosexuels s’accroît. Les meurtres se révèlent tout aussi mystérieux. Des morceaux de cadavre, jetés dans des sacs en plastique flottant sur l’Hudson River, sont retrouvés par la police qui les étiquette, faute de mieux, « CUPPI » – acronyme pour « affaire indéterminée, enquête de police en cours ». « Tueur aux sacs-poubelles » William Friedkin a déjà entendu parler des clubs SM par l’intermédiaire de Randy Jurgensen, un policier à la retraite qui a commencé à travailler avec lui sur French Connection, et auquel on avait confié la mission, dans les années 1960, de s’insérer dans ces clubs, pour retrouver un tueur. Un matin, en lisant le New York Daily News, Friedkin tombe sur un article évoquant l’arrestation de Paul Bateson, affublé du surnom de « tueur aux sacs-poubelle ». Ce dernier est accusé de plusieurs meurtres d’homosexuels, dont celui d’Addison Verrill, un journaliste de cinéma travaillant pour le quotidien professionnel Variety. Le réalisateur s’arrête d’emblée sur la photo de Paul Bateson. Non seulement il connaît ce jeune homme, mais il l’a filmé. Il symbolise l’infirmier préparant l’artériographie de la jeune fille possédée de L’Exorciste, qui souffrirait d’un désordre cérébral. « Il portait des boucles d’oreilles et un bracelet de force, se souvient Friedkin, une manière de revendiquer sa sexualité, une chose rare en 1972. » Le réalisateur obtient l’autorisation de rendre visite au meurtrier à la prison de Rikers Island, située sur l’East River. Paul Bateson accueille Friedkin avec joie, heureux d’apprendre que L’Exorciste a été un énorme succès au box-office. Puis il lui confie qu’il a tué plusieurs personnes. Combien ? Trois sans doute, mais certainement pas les huit ou neuf meurtres qu’on lui attribue. Il a rencontré Addison Verrill au Mineshaft, une « backroom » située sur Washington Street, en plein Greenwich Village, devenue, à son échelle et dans son registre, aussi réputée que le Studio 54, la boîte disco où le Tout-New York va danser. Le Mineshaft est fréquenté par des stars et des inconnus. Parmi eux, Andy Warhol, Keith Haring, Michel Foucault, ou le chanteur du groupe Queen, Freddie Mercury. Après sa soirée au Mineshaft, Paul Bateson ramène chez lui Addison Verrill, il l’assomme avec une poêle à frire, puis le découpe en morceaux. Rétif devant la moindre scène de sexe William Friedkin est persuadé de tenir une histoire hors du commun. Il reste au réalisateur de L’Exorciste à découvrir, en compagnie de Randy Jurgensen, improvisé conseiller technique, les clubs SM : le Mineshaft bien entendu, mais aussi le Ramrod, l’Eagle’s Nest, l’Anvil. « Je n’ai jamais vu un spectacle pareil, constate le réalisateur américain. Pour entrer au Mineshaft, il fallait monter un escalier étroit au bout duquel vous attendaient deux vigiles qui vérifiaient votre identité, car il s’agissait d’un club privé. Il a fallu nous déshabiller pour ne conserver que notre slip, nos chaussettes et nos chaussures. Certains membres portaient des masques en cuir. D’autres se contentaient d’une veste ou d’un gilet toujours en cuir. Les murs étaient peints en noir, avec des lampes à ultraviolets. Cela ressemblait à une cellule de prison, avec un donjon où des hommes avaient des relations orales et anales. Un mur où certains se faisaient fouetter. Une baignoire où un type se faisait pisser dessus. Juste à côté, un homme ligoté se faisait administrer un fist-fucking. Tous les fantasmes possibles se trouvaient satisfaits. » Le Mineshaft et l’Anvil appartenaient à un certain Matty « le Cheval » Ianniello, un membre de la famille Genovese. La plupart des clubs et bars gay à cette époque restaient propriété de la Mafia. Iannello, un admirateur de French Connection, pour lequel Friedkin avait reçu l’Oscar du meilleur film en 1972, accorde au réalisateur les autorisations de tournage et sa protection, à la condition qu’il ne soit jamais fait mention dans le film des liens entre ces clubs et la Mafia. L’acteur Pacino peut alors effectuer sa tournée dans les clubs. Pourquoi ce comédien, connu pour son extrême pudeur, rétif devant la moindre scène de sexe, a-t-il tout mis en œuvre, contactant lui-même William Friedkin, pour obtenir le rôle principal de Cruising ? Un acteur qui, trois ans plus tôt, après avoir lu le scénario d’Un après-midi de chien, inspiré d’un fait divers authentique, où son personnage de malfaiteur attaque une banque pour financer l’opération permettant à son amant de changer de sexe, avait refusé de tourner une scène où il devait embrasser son partenaire sur la bouche. Pacino avait proposé à la place, au réalisateur Sidney Lumet, de jouer cette scène au téléphone, pour qu’Un après-midi de chien devienne l’histoire de deux personnes qui s’aiment sans trouver le moyen de vivre ensemble. Une idée brillante, digne d’un acteur de génie, accueillie, comme il se doit, avec enthousiasme par Sidney Lumet. Un film radical, à la frontière de la pornographie Au moment d’Un après-midi de chien, après Le Parrain et Serpico, situés eux aussi à New York, Pacino incarne mieux qu’aucun autre acteur les tréfonds dans lesquels cette ville continue de sombrer après le départ de son maire John Lindsay et l’élection d’Ed Koch. Mais, entre-temps, a surgi le chauffeur de taxi, vétéran du Vietnam, incarné par Robert De Niro, sillonnant les rues de New York dans Taxi Driver (1976), de Martin Scorsese, qui amène la folie destructrice du personnage à un niveau rarement atteint à l’écran. Avec Cruising, c’est comme si Al Pacino, en pleine période punk, décide de prêter son visage et son corps à un stade supérieur de l’enfer new-yorkais. Aucune star n’a jamais accepté de tourner un film aussi radical, à la frontière de la pornographie. Et aucune ne s’y est risquée depuis. Pacino est fou de joie de retrouver Randy Jurgensen, qu’il a côtoyé sur le tournage du Parrain. C’est avec lui qu’il s’apprête à découvrir les boîtes de nuit cuir. « La conversation restait pourtant à sens unique », se souvient Jurgensen. Ce dernier commence par lui expliquer la signification des couleurs des bandanas accrochés à la poche du jean des membres des clubs SM – ce qui donnera une des scènes emblématiques de Cruising. « Friedkin expliquait à Pacino de quelle manière il se ferait toiser, caresser, harceler par les membres du club. Pacino ne mouftait pas. Il se nourrissait du spectacle, absorbait tout. Ce mec est une éponge », Randy Jurgensen, ancien policier Après avoir passé sa première nuit dans un club SM, le personnage joué par Pacino veut en savoir plus, entre dans un magasin d’accessoires et demande le mode d’emploi des bandanas au vendeur : « Bleu dans la poche arrière gauche : tu cherches la pipe. Poche droite : c’est toi qui la fais. Vert, à gauche : tu fais la passe. A droite : tu es client. Jaune, à gauche : tu pisses sur ton mec. A droite : c’est l’inverse. » L’explication terminée, Randy Jurgensen découvre un Pacino secouant la tête. « Après chaque épisode, il me répétait : “Tu as vraiment fait un truc pareil ?” Il m’assaillait littéralement de questions, dont l’une revenait sans cesse : “Tu es arrivé à tenir le coup ?” En fait, non. Je ne suis pas tombé malade durant cette mission, mais je me suis perdu. Ce truc m’a vrillé la tête. Là, Pacino était inquiet. Vous pouvez voir cela dans le film, dans la scène où il se regarde dans un miroir : il secoue la tête, et essaie de comprendre qui il est. » L’étape des travaux pratiques, c’est-à-dire la fréquentation du Mineshaft et de l’Anvil, en compagnie de Randy Jurgensen et de William Friedkin, se révèle compliquée ; comment entrer dans ces clubs, en compagnie de la plus importante star du box-office américain, mais sans garde du corps ? « Friedkin, remarque Jurgensen, expliquait à Pacino comment il le dirigerait dans le film, de quelle manière il se ferait toiser, caresser, harceler par les membres du club. Pacino ne mouftait pas. Il gardait un visage figé. Ce n’est pas qu’il s’en foutait, mais il se nourrissait du spectacle, absorbait tout. Ce mec est une éponge. » L’un des tournages les plus agités de l’histoire du cinéma Le plus éprouvant pour Pacino a lieu moins à l’intérieur des clubs qu’à ciel ouvert, lorsque le tournage de Cruising, au milieu de la canicule de l’été 1979, devient l’un des plus agités de l’histoire du cinéma. Dans l’édition du 16 juillet du Village Voice, Arthur Bell, le même journaliste qui avait auparavant attiré l’attention de Friedkin sur la série de meurtres commis dans les clubs SM, signe un article dévastateur appelant à une croisade contre le film : « Cruising s’annonce comme le film le plus accablant, insultant et sectaire jamais réalisé sur l’homosexualité. J’implore les lecteurs, gay, hétérosexuels, libéraux, radicaux, athées, communistes, peu importe, de rendre à Friedkin et à son équipe la vie impossible dès que vous les verrez tourner dans votre quartier. » Des groupes homosexuels envoient des courriers au maire de New York, Ed Koch, lui demandant de retirer au film son autorisation de tournage. Sans succès. Suivent des menaces de mort, par courrier ou au téléphone. La plupart des scènes, tournées de nuit, ont lieu pendant que des centaines de manifestants insultent comédiens et techniciens. Aux insultes succèdent des jets de pierres et de bouteilles ; que l’équipe du film, dont des membres des clubs SM, employés comme figurants, renvoient aux manifestants. Le sommet de la bataille urbaine est atteint le 26 juillet quand plusieurs milliers de manifestants défilent dans Greenwich Village en hurlant : « Cruising doit partir ! » La manifestation est brisée par la police montée de New York, dont toutes les forces sont mobilisées à cette occasion. « Il y a une scène, note William Friedkin, dans laquelle Pacino marche seul la nuit dans Greenwich Village. Ça, c’est devant la caméra. Derrière, vous aviez des centaines de manifestants qui hurlaient : “Pacino, espèce de trou du cul, sale petite tapette, tu vas te faire enculer.” Il devait faire comme s’il n’y avait personne, mais vous lisez la peur sur son visage. » Le cinéaste ajoute : « Je ne suis pas dingue de sa performance dans le film, je n’arrive pas à me souvenir d’un jour où il est arrivé sur le plateau en connaissant son texte, mais il parvient admirablement à contenir ce sentiment de peur que le spectateur ressent à merveille. » Pour oublier le bruit des manifestants, Pacino s’enferme entre deux prises dans sa loge et lit à voix haute à son maquilleur La Résistible Ascension d’Arturo Ui, de Bertolt Brecht. Avec le recul, le tournage de Cruising peut apparaître comme le moment où la communauté homosexuelle américaine se remobilise et se soude, d’autant qu’elle vient de fêter le dixième anniversaire des émeutes de Stonewall, acte fondateur du militantisme LGBT. « Après tout, souligne Friedkin, cette communauté mobilisait ses efforts pour obtenir sa légitimité. Elle craignait que mon film, décrivant des pratiques sexuelles marginales, la ramène plusieurs années en arrière. Elle se trompait mais, aujourd’hui, je comprends ses craintes. » [b]Le film échappe au classement X[/b] A la fin d’un tournage tumultueux, Friedkin poursuit son chemin de croix. Il doit affronter la commission de classification. Le réalisateur a volontairement laissé durer les scènes de sexe crues et de meurtre, sachant qu’elles seraient coupées par la suite, si bien que Cruising échappe au classement X – label attribué aux films pornographiques – pour un classement R, une interdiction moins contraignante, autorisant une distribution dans toutes les salles. Quand il découvre le film, Pacino est décontenancé. Selon le témoignage de Friedkin, l’acteur n’y comprend rien. Il demande, sans succès, un certain nombre de coupes et dit sa désapprobation devant l’évolution de son personnage qui se révèle aussi un meurtrier, ce qui n’était pas précisé dans le scénario. Pacino se désolidarise alors de Cruising. « C’est un film qu’Al m’a fait promettre de ne jamais regarder », confie Marthe Keller, qui devient sa compagne après avoir été avec lui à l’affiche de Bobby Deerfield (1977), de Sydney Pollack. L’accueil critique du film est accablant. Arthur Bell, dans le Village Voice, le décrit comme « le regard le plus obscène et réactionnaire jamais porté sur l’homosexualité ». Variety, la bible du show-business, conclut ainsi sa critique : « Si ça c’est un film classé R, alors il ne restera dans le genre X que les films vraiment extrêmes. » La carrière commerciale de Cruising s’avère tout aussi désastreuse. C’est le premier échec cinglant de la carrière de Pacino. Avec les années, le film honni jouira d’une réputation grandissante. Au point de devenir l’un des rôles emblématiques de Pacino et de s’imposer comme le témoignage d’un monde disparu. Alors que la restauration de Cruising est projetée au Festival de Cannes, en 2007, William Friedkin prend un café avec Quentin Tarantino, grand admirateur du film, et lui demande comment une œuvre aussi maudite a pu gagner une légitimité et une réputation : « Le film rappelle quelque chose pour toujours perdu, explique le réalisateur de Pulp Fiction. Un monde auquel les jeunes qui sont dans le SM n’ont plus accès en claquant des doigts, car le sida est passé par là. » En 1979, Al Pacino devient le soleil noir d’une époque sur le point d’être gagnée par le cataclysme d’une épidémie. Mais il ne s’exprimera jamais sur ce film. Ni sur son tournage. Il prétend avoir tout oublié. Quarante ans après, il est bien le seul à ne pas vouloir s’en souvenir. Al Pacino en six films cultes (4/6). En 1983, l’acteur ne se contente plus d’incarner un personnage. Il « est » Tony Montana, un effrayant trafiquant de cocaïne aux désirs incestueux. Fin janvier 1982, Al Pacino dîne dans un restaurant new-yorkais avec Lee Strasberg. C’est un rituel. Chaque semaine, dans la mesure du possible, il retrouve son mentor à l’Actors Studio dans le même delicatessen. Quelques jours plus tard, son professeur meurt, à 80 ans, d’un infarctus. Ce dîner sera leur dernier rendez-vous. Après la mort, en 1978, de l’acteur John Cazale, son partenaire dans Le Parrain, Le Parrain II, de Francis Ford Coppola et Un après-midi de chien, de Sidney Lumet, un frère symbolique, Pacino perd son père de substitution, lui qui n’a quasiment pas connu le sien. Il doit faire le deuil de sa famille d’adoption. Pacino et Strasberg évoquent ce soir-là leur besoin de tourner ensemble, ce qui est la meilleure façon de ne jamais se quitter. Et pour l’acteur le moyen de continuer à écouter les conseils du maître. La première fois qu’ils sont ensemble à l’écran, c’est dans Le Parrain II, en 1974. Strasberg n’est alors plus apparu au cinéma depuis vingt-trois ans. Pacino l’impose pour incarner son ennemi juré dans le film, le gangster Hyman Roth. Ils sont réunis à nouveau cinq ans plus tard dans Justice pour tous, de Norman Jewison, le premier film sans relief de la filmographie de Pacino, dans lequel il incarne un avocat luttant contre la corruption au sein du système judiciaire. Il a demandé que Strasberg y incarne son grand-père. Celui-ci, pensionnaire d’une maison de retraite, perd progressivement la mémoire, tout en conservant son autorité morale. La coiffure du maître apparaît plus ébouriffée que d’ordinaire. Différente de son allure de grand sage et de redoutable stratège dans le Parrain II. Les cheveux exceptés, Strasberg ne change pas : une masse de fonte, imperméable au temps qui passe et aux idées arrêtées. En marge du tournage de Justice pour tous, il fait remarquer à Pacino qu’il ne partage pas son purisme dans l’approche des rôles. C’est l’époque où l’acteur n’apprend plus ses textes, préférant entrer d’abord dans la peau du personnage pour, soi-disant, trouver une manière plus spontanée de dire ses dialogues. William Friedkin déplore la même chose sur le tournage de Cruising (1980). Pacino, tout en jouant, récite son texte griffonné sur des mémos scotchés sur les murs ou collés sur le front de ses partenaires. Cette manie, il l’emprunte à Brando, qui a pris cette fâcheuse habitude depuis longtemps. « Al, apprends ton putain de texte, lui répète Strasberg. Simplement ton texte. Tu verras, après, les choses te sembleront plus simples. » Happé par le vide Lors de leur dernier dîner, Strasberg décrit à Pacino ce que seront ses vingt prochaines années. Son idée consiste à enseigner jusqu’à l’âge de 100 ans. Mais se pose tout de même la question de la transmission. Le maître a formé Marlon Brando. James Dean. Puis Paul Newman. Pacino enfin. Qui ensuite ? Strasberg évoque la possibilité que l’acteur du Parrain lui succède à l’Actors Studio. Mais, au moment du café, troublé par l’excès d’intensité de son poulain, son obsession de tout analyser et décortiquer, sa tendance à expérimenter au-delà du raisonnable, le professeur lui lance : « Al, tu vas devoir apprendre à te laisser aller. » Après la mort brutale de Lee Strasberg, Pacino est happé par le vide. Dix mois plus tard, en novembre 1982, il doit commencer à Miami le tournage de Scarface, avec le cinéaste Brian De Palma. Un remake du classique éponyme d’Howard Hawks, de 1932. Il n’a plus d’autre choix que de se préparer à se laisser aller. C’est son héritage, en forme d’injonction, alors que résonne la voix de son mentor. Il doit se laisser aller, d’autant qu’il sort de trois échecs commerciaux au cinéma. Ce rôle va lui permettre de séduire à nouveau les foules. Scarface, il le veut et il le porte depuis longtemps. Il le porte depuis qu’il a joué au théâtre, à Boston en 1975, dans la pièce de Bertolt Brecht, La Résistible Ascension d’Arturo Ui. Brecht a écrit en 1941 sa parodie de l’ascension d’Hitler au pouvoir en s’inspirant des films de gangsters américains, dont le plus célèbre est Scarface. Al Pacino dans « Scarface », réalisé par Brian De Palma. Un film à la violence exacerbée, au langage ordurier, et à l’esthétique hors norme. Pour incarner Arturo Ui, Pacino veut visionner le classique de Hawks, avec Paul Muni dans le rôle-titre du gangster, modelé sur Al Capone. Mais le propriétaire du film, le milliardaire Howard Hughes, bloque alors toute diffusion. Ce qui explique que les metteurs en scène du nouvel Hollywood, Brian De Palma et Martin Scorsese en tête, n’aient pu le découvrir qu’au début des années 1980. En 1981, Pacino roule sur Sunset Boulevard, à Los Angeles, et passe devant un cinéma d’art et essai programmant Scarface. Il s’arrête et entre dans la salle. Il est surpris par la violence, inhabituelle dans les années 1930, du film de Hawks. Les gangsters se distinguent par leur analphabétisme, leur puérilité, par des attitudes primaires et bestiales, si peu héroïques. Pacino remarque aussi la référence aux Borgia pour dépeindre Capone et la jalousie incestueuse que lui inspire sa sœur. Miami, plaque tournante de la drogue aux Etats-Unis Pacino en est convaincu. Il y a matière à réaliser une nouvelle version du classique de Hawks. Il confie cette tâche à Marty Bregman, son ancien imprésario devenu producteur. Bregman se tourne naturellement vers Sidney Lumet, qui a tourné avec l’acteur Serpico (1973) et Un après-midi de chien (1975), deux de ses plus gros succès. Lumet ne veut pas un film rétro ou fidèle au modèle mais une option contemporaine. Et pour cela il faut un sujet, une actualité. Au printemps 1980, le régime de Fidel Castro expulse 125 000 Cubains considérés comme contre-révolutionnaires. Baptisés « marielitos », car partis du port de Mariel, à 40 kilomètres de La Havane, ils débarquent sur les côtes de la Floride. Environ un cinquième d’entre eux sont des « indésirables » : libérés des prisons cubaines ou échappés d’hôpitaux psychiatriques, ils font partie du « colis » adressé par Fidel Castro au gouvernement des Etats-Unis. Lumet, frappé de voir à quelle vitesse Miami devient la plaque tournante de la drogue aux Etats-Unis, pense tenir la trame d’une nouvelle version de Scarface, dans laquelle le trafic de cocaïne remplacerait la Prohibition, alors que les gangsters cubains se substitueraient à la pègre italienne. « La ville affichait une statistique étrange. Alors qu’elle n’est pas un centre industriel, elle était devenue la deuxième zone bancaire au monde. » Oliver Stone, scénariste du film Le réalisateur confie l’écriture du scénario de Scarface au scénariste de Midnight Express (1978) et futur réalisateur de Platoon (1986) et de JFK (1991), Oliver Stone. Qui se penche sur le « cas » Miami. « La ville affichait une statistique étrange, raconte aujourd’hui Oliver Stone. Alors qu’elle n’est pas un centre industriel, elle était devenue la deuxième zone bancaire au monde. Je vais rencontrer le procureur général des Etats-Unis à Washington pour comprendre. Il m’explique que l’industrie de la cocaïne génère 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires par an. Je le corrige, pensant qu’il veut dire 100 millions de dollars. Il me répète : “100 milliards”. » Le scénariste se rend ensuite en Bolivie, au Pérou et en Equateur afin de comprendre comment transite la cocaïne entre l’Amérique du Sud et la Floride. Stone rencontre la nuit des trafiquants de drogue à l’allure de playboys, bardés de chaînes en or. Il leur explique qu’il est scénariste et prépare un film. « La nuit n’est sans doute pas le meilleur moment pour rencontrer ces énergumènes à l’humeur versatile, reconnaît-il. Ils sont capables, estimant avoir trop parlé, de vous loger une balle dans la tête. Un soir, je vais chez l’un d’eux pour boire un verre, sniffer et faire la fête. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai prononcé le nom d’un ancien avocat qui m’avait aidé à Miami pour mes recherches. Les mecs ont changé de couleur. Ce nom était celui d’un indic qu’ils recherchaient. Cela signifiait que je n’étais pas un scénariste, mais un agent infiltré. J’étais dans la merde. Avoir autant sniffé m’a permis de louvoyer. Mais vous n’imaginez pas comme j’ai eu peur. Cette peur, je l’avais ressentie au Vietnam. Et cette peur est l’essence de Scarface. » Tuer est un art qu’il faut partager C’est à Paris qu’Oliver Stone écrit son scénario. Pour garder les idées claires. Loin de New York ou de Los Angeles, où la cocaïne est plus accessible. Mais lorsqu’il remet son texte, le metteur en scène a changé. Sidney Lumet veut un film politique, il entend souligner les liens entre la CIA et les cartels sud-américains de la drogue dans la lutte anticommuniste. Al Pacino, au contraire, veut un film focalisé sur le personnage principal, Tony Montana, le gangster cubain devenu le baron de la drogue. L’acteur privilégie une approche brechtienne, très théâtrale, de son personnage, avec lequel les spectateurs peuvent s’identifier tout en étant horrifiés par la violence de ses actes et de ses mots. « Tony Montana est toujours perçu comme bidimensionnel, précise alors Pacino. C’est le style du film. On ne cherche jamais à expliquer pourquoi il fait ce qu’il fait. » Ce que veut Pacino rejoint la conviction de Brian De Palma : faire un film outré, à la violence exacerbée, au langage ordurier, à l’esthétique hors norme. Le metteur en scène de Carrie (1976) et de Blow Out (1981) opte pour des couleurs vives, criardes, vulgaires, dictées par l’ambiance du sud de la Floride, l’esprit tropical des gens et des lieux, le machisme latin aussi. Tony Montana conduit une Cadillac aux sièges recouverts d’un tissu simili-léopard, porte des chemises hawaïennes, avant d’ériger un palais tout stuc et rococo avec, au centre, une piscine en marbre. Le film de gangsters est souvent en noir et blanc, les règlements de comptes ont pour théâtre des ruelles obscures animées par des hommes de main au costume sombre. Dans Scarface, les fusillades ont lieu en plein jour et opposent des tueurs le plus souvent habillés de blanc. Tuer est une parade, un art qu’il faut partager. Les trafiquants de drogue cubains, remarque De Palma, ne se contentent pas de tuer leurs ennemis : ils les découpent en morceaux qu’ils déposent devant la poubelle d’une épicerie. Le réalisateur américain tient à mettre en valeur le rapport particulier, pathologique, paroxystique à la violence des gangs cubains, si différent de tout ce qui a pu être montré auparavant au cinéma – et que l’on retrouve dans la guerre de la drogue au Mexique, à partir des années 2000. Pacino veut être Tony Montana Pacino ne veut pas incarner, mais être Tony Montana. Il a un problème de langue. Le père du personnage est américain, sa mère cubaine, et son anglais, mal maîtrisé, reste un mélange de deux accents. Pacino effectue alors le pèlerinage à Pasadena, dans la banlieue de Los Angeles, où réside Robert Easton, un ancien acteur de série B, désormais spécialiste des accents. Pacino constate que la seule pièce de la maison de Robert Easton qui ne soit pas envahie de livres est la chambre à coucher. Le reste de l’espace est vampirisé par des ouvrages consacrés à tous les dialectes imaginables, du créole jamaïcain au chuukois, l’une des neuf langues parlées en Macron le big bossésie. C’est donc sur le lit de son coach que Pacino perfectionne, des semaines durant, son accent en face de cet étrange individu aux cheveux longs et à la barbe blanche, qui ressemble davantage au Gandalf du Seigneur des anneaux qu’à un professeur d’université. La détermination de l’acteur ne surprend pas De Palma : « Je le connaissais depuis le milieu des années 1960. Je sortais alors avec Jill Clayburgh, qui deviendrait ensuite sa petite amie. Il travaillait différemment des autres acteurs, très proche dans sa méthode de Dustin Hoffman, mais avec un travail préparatoire considérable et une intensité inhabituelle. » De Palma poursuit : « Cet investissement m’apparaissait nécessaire pour composer un gangster cubain qui était aux antipodes de la personnalité et de la culture de Pacino. » Après avoir maîtrisé son accent, Pacino passe plusieurs mois en compagnie de son acolyte dans Scarface, l’acteur d’origine cubaine Steven Bauer, qui incarne son bras droit et son compagnon d’exil. Les deux hommes ne se quittent pour ainsi dire jamais. Grace à Bauer, Pacino s’immerge dans le Miami cubain et n’échange qu’en espagnol avec lui. Bauer est né à La Havane le 2 décembre 1956, le jour où Fidel Castro rentre clandestinement à Cuba en provenance du Mexique avec 80 exilés, dont Che Guevara, pour ensuite marcher vers le pouvoir. Le père de Steven Bauer, sceptique sur l’instauration du communisme dans l’île, choisit l’exil aux Etats-Unis et installe sa famille à Miami. « Le destin des “marielitos” ne m’était pas étranger, raconte Steven Bauer, même si j’appartiens à la génération qui a gagné les Etats-Unis vingt ans plus tôt. Je les ai vus agir à Miami. Ils ont été pris en tenaille entre le pouvoir répressif communiste et le prétendu rêve américain. Cela a créé une tension impossible. J’ai vu Miami se dégrader en peu de temps. J’avais la trouille. Cette vague criminelle était épouvantable. » « Quelque chose de complètement décadent dans son jeu » La réalité des « marielitos », rejetés par leur pays et prêts à tout risquer dans un autre, indifférents à la mort en raison de leur marginalité absolue, voilà ce que doit faire ressentir Pacino. Il le fait sans limite. « Al m’intimidait, explique Oliver Stone. Il fallait quand même voir le spectacle durant les répétitions. Le mec mettait tout le monde mal à l’aise. Je l’ai vu transformer Tony Montana en bête sauvage. Il y avait quelque chose de complètement décadent dans son jeu. » La première scène de « Scarface » est inoubliable. Rarement un personnage n’a été aussi bien introduit dans un film Le regard de Pacino face à un trafiquant de drogue colombien, à l’occasion d’un deal qui tourne mal, alors que ce dernier sort une tronçonneuse pour le découper, fait partie des nombreux moments de sauvagerie du film. Pacino a bien retenu l’ultime conseil de son mentor : se laisser aller. « C’est l’une des choses formidables quand on est acteur, explique alors Al Pacino au journaliste Lawrence Grobel. Tu es soudain capable de dire à quelqu’un qui est sur le point de te trancher la tête avec une tronçonneuse qu’il peut bien se la fourrer dans le cul. » Tony Montana est le rôle préféré de Pacino à l’écran. Cela se voit d’emblée. Le début d’un film conditionne souvent la suite. La première scène de Scarface, avec Tony Montana en chemise à fleurs, maniant mensonges et calembours, hautain et blagueur, roulant des mécaniques face aux officiers américains de l’immigration, est inoubliable. Rarement un personnage n’a été aussi bien introduit dans un film. « Al envahit l’écran avec son visage, constate Brian De Palma. Il faut toujours s’efforcer de présenter son personnage principal de manière spectaculaire. Le visage de Pacino, sa cicatrice – une partie sur la joue, sauf qu’elle déborde aussi sur son œil, une idée d’Al pour signifier sa sauvagerie –, sa manière unique de bouger, sont révélés en un seul gros plan. Son arrogance, son machisme latin exubérant s’imposent en une seconde. C’est ce qui s’appelle une star de cinéma. » Combat contre la censure américaine Une fois le tournage terminé, à Los Angeles et à Miami, un autre combat attend l’acteur et son cinéaste. Celui contre la censure américaine. Les censeurs sont décontenancés par la violence du film, en particulier par la séquence où, sous le regard hébété de Pacino, l’un de ses complices est découpé à la tronçonneuse dans une baignoire. De cette scène, on ne voit que le visage de Pacino aspergé de sang, quand la censure prétend qu’on voit aussi l’homme mis en pièces. Plusieurs montages successifs sont proposés, pour alléger un peu le film, mais les censeurs maintiennent le classement « X ». La carrière commerciale de Scarface est compromise. De Palma, soutenu par Martin Scorsese, décide alors de plaider sa cause dans la presse, puis à nouveau devant la commission de censure. Il obtient le label « R », moins restrictif que le « X », ce qui permet aux moins de 17 ans de voir le film à condition d’être accompagnés par un adulte. C’est la première version de Scarface, la plus violente, qui est proposée au public. Le film arrive sur les écrans en décembre 1983, et l’accueil critique et commercial est très mauvais. L’interprétation de Al Pacino, considérée comme outrée, est visée. Il y a une autre raison, politique. Dans les années 1970, l’opinion accepte, voire juge souhaitable, qu’il incarne le New York décadent, un pays vacillant entre le Vietnam, le Watergate et la crise économique. En revanche, elle accepte moins de le voir dénoncer les excès des années Reagan, et même de livrer une version dégénérée du rêve américain avec son libéralisme débridé. La phrase de Tony Montana : « le capitalisme, c’est enculer les gens » résume bien l’affaire. Des phrases-chocs comme celle-ci, Pacino en balance par dizaines dans Scarface. Par exemple : « Tout ce que j’ai, dans ma vie, ce sont mes couilles et ma parole. » Les mots, leur contenu et leur sonorité, sont déterminants dans la renaissance du film, lui offrant même un succès inespéré. D’abord, à la fin des années 1980, l’œuvre connaît une carrière retentissante en vidéo – les acheteurs se recrutent chez ceux qui n’ont pas osé aller en salle. Mais l’essentiel se passe au début des années 1990, avec un mouvement inattendu, qui va transformer Scarface en film culte. Sur le tournage, Pacino est attaqué par un chien. En temps normal, il part en courant, mais là, il le frappe sur le museau pour l’assommer à coups de poing La génération hip-hop, en pleine ascension, adopte le film avec un ensemble incroyable. Dans son premier album, Illmatic (1994), considéré comme un des plus importants de la décennie pour cette musique des mots, le rappeur américain Nas dit « The world is yours » (« le monde est à toi ») en référence au ballon dirigeable affichant cette phrase magique qu’observe, de son balcon, un Tony Montana au faîte de son pouvoir. Sean Combs, alias « Puff Daddy », raconte avoir vu le film 63 fois « pour mieux apprendre la vie ». Le rappeur Snoop Dog s’impose encore à ce jour un visionnage de Scarface chaque mois : « Je pense, explique-t-il, que n’importe quel brother qui le regarde peut saisir ce que le personnage endure. » Le groupe pop punk californien Blink-182 tire son nom du nombre de fois où Tony Montana prononce le mot « fuck » dans le film. Les années passant, Brian De Palma est frappé par le nombre d’acteurs qui, par la suite, singent le Pacino de Scarface : « Bruce Willis est excellent quand il imite Tony Montana, Tom Cruise se révèle même génial. C’est comme lorsqu’on imitait le Brando de Sur les quais. » Sur le tournage, Pacino est attaqué par un chien. En temps normal, il part en courant, mais là, il le frappe sur le museau pour l’assommer à coups de poing. Avec sa chemise à fleurs, il n’est plus Pacino, il est Tony Montana, et il n’a peur de rien. Il se laisse aller. Depuis sa prestation, cette manière de se laisser aller est devenue une référence de l’art dramatique. -------------------- .
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27/07/2019 11:04
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#23545
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![]() Membre accro Groupe : Banned Messages : 5,621 Inscrit : 07/08/2015 Membre no 10,214 Tribune : Tribune Francis Borelli |
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27/07/2019 11:50
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#23546
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![]() Pilier du forum ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 10,264 Inscrit : 18/01/2009 Membre no 595 Tribune : Viré du stade |
Horrible. Et j'aimais bien Almodovar mais ses deux derniers...je te la fait courte, c'est de la merde auteurisante, incroyablement chiant, ça ne raconte rien, il n'y a pas de cinéma là-dedans mais il y a l'étiquette "Almodovar", alors le critique presse blasé fout un 5/5. Horrible. Dis-moi les autres choix que tu as, je vais te sauver vite fait ta soirée. +1. J'ai dormi devant. -------------------- .
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27/07/2019 12:11
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#23547
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![]() ROMAN ROY ENTHUSIAST ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,196 Inscrit : 19/01/2009 Membre no 612 Tribune : Canapé |
De toute façon c’est évident qu’Averell va détester.
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27/07/2019 12:21
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#23548
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Dieu tout-puissant ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,572 Inscrit : 12/01/2009 Membre no 502 Tribune : Non précisée |
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27/07/2019 18:59
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#23549
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![]() Dieu tout-puissant ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Rédacteurs Messages : 26,573 Inscrit : 11/01/2009 Membre no 491 Tribune : Non précisée |
Meh le Almodovar, après faut être client du cinéaste, ce que je ne suis pas généralement. Par contre Banderas est très bon.
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28/07/2019 07:11
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#23550
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![]() ROMAN ROY ENTHUSIAST ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,196 Inscrit : 19/01/2009 Membre no 612 Tribune : Canapé |
Meh le Almodovar, après faut être client du cinéaste, ce que je ne suis pas généralement. Par contre Banderas est très bon. Je suis loin d’être un almodolatre, dans sa filmo y’a beaucoup plus de films qui me sortent par les yeux qu’autre chose mais justement je trouve que celui là est une œuvre à part. Bizarrement c’est clairement son film le plus personnel mais dans le même temps c’est son film le moins marqué, il gagne en pudeur et en épure donc en émotion, je trouve le film vraiment bouleversant. -------------------- Flex.
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28/07/2019 15:31
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#23551
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![]() Pilier du forum ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 10,264 Inscrit : 18/01/2009 Membre no 595 Tribune : Viré du stade |
Al Pacino en six films cultes (5/6). L’acteur tourne, entre 1993 et 1996, une formidable enquête sur « Richard III ». Pour lui, Shakespeare est l’horizon et la finalité de sa carrière.
Personne ne se souvient de la première apparition d’Al Pacino à la télévision, en 1968, au « Merv Griffin Show ». C’est dans la foulée du succès au théâtre de L’Indien cherche le Bronx, d’Israel Horovitz. Sa réputation est telle qu’il est invité dans l’un des talk-shows les plus populaires aux Etats-Unis, de ceux qui font et défont une carrière. A peine assis, Pacino, 28 ans, est décontenancé par les applaudissements enregistrés. Il se lance ensuite dans une improvisation maladroite. « Il n’y arrivait pas, se souvient Israel Horovitz. C’est comme s’il prenait conscience en direct qu’il n’avait rien à dire et rien à faire à la télévision. Il se sentait humilié de se retrouver là. Pour la première fois, il ne devait pas jouer un autre, il devait être Al. » Devenir « Al », à cette époque, reste mission impossible. D’ailleurs, Horovitz, témoin du désastre – Pacino est éjecté du plateau dès la première interruption publicitaire – se dit que ce gamin a véritablement quelque chose à dire, mais à condition de s’appuyer sur un texte. Il faudra du temps avant que le jeune homme puisse exprimer ce qu’il a à dire. L’occasion se présente, en 1970, dans le cadre plus confidentiel d’un dossier de presse à des fins promotionnelles évoquant son premier rôle important au cinéma, le junkie de Panique à Needle Park, de Jerry Schatzberg. « J’aimerais jouer dans une pièce prestigieuse pendant dix ans – pas tous les soirs, mais pouvoir y revenir pendant une partie de l’année », confie-t-il. Puis d’ajouter : « J’aimerais bien faire Richard III. Ça, c’était un sale type. » Ce qui passe pour un souhait s’avère en fait un choix de vie, soupesé, réfléchi, planifié. Il existe bien un chemin de carrière pour Pacino, dont il anticipe les détours et les imprévus, tout en en connaissant le terme : Shakespeare et Richard III. Shakespeare est un horizon et une finalité. L’acteur l’a déjà présenté lors du concours d’admission à l’école Actors Studio, en 1966 – un extrait du fameux monologue d’Hamlet (« être ou ne pas être »), dont il s’interroge encore sur le sens. Mais c’est bien Richard III qui le hante. Il l’interprétera deux fois au théâtre. Il sera au cœur du deuxième film qu’il réalise et interprète, Looking for Richard (1996). Ce film, le comédien le finance avec ses propres deniers, comme Orson Welles, autre acteur et réalisateur hanté par le dramaturge anglais, investit en son temps sa fortune pour réaliser Othello (1951). Un défi pour un gamin du Bronx La rencontre avec Shakespeare relève du défi pour un gamin du South Bronx comme Pacino. Le voisinage de son quartier est divers, agité. Il produit des ouvriers, des toxicomanes, des alcooliques ou des joueurs de base-ball, mais ne réserve, en principe, aucune place à un lecteur de Richard III. Pacino apprivoise progressivement l’écrivain du XVIe siècle. Il a à peine 14 ans quand il observe Marlon Brando en Marc Antoine dans Jules César, l’adaptation de la pièce de Shakespeare réalisée par Joseph L. Mankiewicz, en 1953. L’acteur d’Un tramway nommé désir avait répété des heures durant ses tirades, la bouche pressée contre un oreiller, espérant restituer au mieux l’écriture et la sonorité si complexe du dramaturge, ces fameux pentamètres iambiques – des vers à cinq pieds, où une syllabe atone est suivie d’une syllabe accentuée. L’enjeu ? Ne pas abandonner l’affaire aux seuls comédiens britanniques. Brando tourne très tôt le dos au théâtre. Une hérésie pour Pacino, qui conçoit sa carrière d’abord sur scène. Les films ne constituent pour lui qu’une parenthèse, heureuse ou malheureuse, entre deux pièces. Ce besoin impérieux le sépare de ses contemporains, Dustin Hoffman et Robert De Niro en tête. Ces derniers conçoivent la scène comme un marchepied pour ne plus y retourner une fois devenus des stars de cinéma. Pour Pacino, le théâtre est un sacerdoce. Sa vie. Et le théâtre, c’est d’abord Shakespeare, qui transpire dans ses grands rôles de chefs mafieux au cinéma comme Le Parrain (1972 et 1974) et Scarface (1983). « Al est habité par Shakespeare, confirme Marthe Keller, sa partenaire dans le film Bobby Deerfield, de Sydney Pollack (1977), et sa compagne à la fin des années 1970. Durant le tournage, il me récitait les tirades du Marchand de Venise, puis de La Tempête. Shakespeare le rend fou. Il pouvait passer quinze jours à disserter sur deux répliques. Il est quelque part un intellectuel et un autodidacte. Il ne lâche pas le morceau s’il ne comprend pas un mot. » Un usurpateur, un tyran Jouer au théâtre est aussi pour Pacino une façon de prolonger sa passion pour le métier de comédien, signifier sa richesse. Il répète que Shakespeare s’impose naturellement car il était lui-même comédien. Qui mieux qu’un autre comédien peut comprendre la subtilité et la complexité de sa langue ? Richard III passionne doublement Pacino. Il est un usurpateur, un tyran qui assassine le détenteur du trône d’Angleterre et son fils. Mais aussi un comédien charmeur et cynique, contrôlant la pièce par son omniprésence, assurant, grâce à ses monologues un rôle chorique qui plie le spectateur à sa vision des choses. Richard est autant un monstre qu’un manipulateur dont le destin se noue sur scène, dans son adresse au public. Pacino interprète pour la première fois « Richard III » au Loeb Drama Center, à Boston, en décembre 1972 « C’est le sens du pouvoir et l’impossibilité de le conserver qui attirent Al avec cette pièce, explique Marthe Keller. C’est pour ça qu’il aura besoin, plus tard, de réaliser Looking for Richard. Al aime rester longtemps sur une pièce, il a besoin de profondeur. Il s’entoure depuis toujours de ses amis d’enfance, se méfie de ce qui est nouveau, et des textes qu’il ne parvient pas à maîtriser. C’est la même chose dans sa vie privée. Il reste avec la même femme, et quand il change, il change. » Pacino interprète pour la première fois Richard III au Loeb Drama Center, à Boston, en décembre 1972. Quelques mois plus tôt, en mars, la sortie du Parrain l’a fait changer de statut – d’acteur, il est devenu star. Durant les répétitions de la pièce, il ressent une forme de soulagement, celui d’échapper un temps aux contraintes du vedettariat, ajouté à l’excitation d’incarner enfin ce personnage. Pacino envisage plusieurs options. Doit-il jouer Richard avec une bosse sur le dos, sachant que la monstruosité de ce héros shakespearien est aussi révélée par son physique ? Adopter un accent anglais ou japonais ? Pacino modèle, en fonction de ses humeurs, le personnage du tyran sur son mentor et patron de l’Actors Studio, Lee Strasberg, puis sur sa grand-mère et, enfin, sur un autre comédien, George C. Scott, qui a obtenu, en 1971, l’Oscar du meilleur acteur pour son interprétation d’une figure hors normes, le général Patton dans Patton, de Franklin Schaffner. Réveiller le public Durant l’été 1972, Pacino découvre aussi George C. Scott sur scène, en plein air, à Central Park, dans une autre pièce de Shakespeare, Le Marchand de Venise. En pleine représentation, ce dernier retire son costume pour le faire tourner au-dessus de sa tête – il expliquera qu’il fallait bien réveiller le public. Pacino fait face à Boston à des spectateurs plus absents qu’endormis. Il commence à incarner Richard devant des sièges vides. Au bout de quinze jours, le propriétaire du Loeb Drama Center lui propose de poursuivre les représentations dans une église construite dans les années 1860. Le spectacle prend alors une autre dimension, plus mystique. Les trois cents places sont prises d’assaut chaque soir. Les comédiens ne jouent pas en costume et apparaissent derrière un pupitre et devant un micro. L’entrée en scène de Pacino stupéfie l’audience : son visage est déformé par un tic, il a une bosse, un bras immobilisé. Sa voix nasale et son air reptilien dégagent une confiance hors du commun. Le critique théâtral du New York Times, ébloui par la performance, affirme avec prescience que Pacino n’a certainement pas terminé d’explorer ce rôle. Son modèle n’est pas Brando, ni George C. Scott, mais la figure légendaire de la scène shakespearienne, l’acteur britannique Edmund Kean, qui domine le XIXe siècle Le spectacle se déroule aussi en coulisses. Un soir, Jacqueline Kennedy vient saluer Pacino, mais ce dernier, toujours dans la peau de son personnage, ne pense même pas à se lever devant l’ancienne première dame. Après chaque représentation, à Boston, quand il retourne dans sa loge, il cogne les murs de ses poings puis se tape la tête sur la table. « C’était trop intense, explique-t-il alors à son biographe, Andrew Yule. Vous passez trois heures sur scène, votre vie perd son importance. Si vous n’avez pas de foyer où retourner, une famille, il ne vous reste que ces trois heures. » En 1973, la vie d’Al Pacino se réduit à ces trois heures, dans ce face-à-face avec Richard. Son modèle n’est pas Brando, ni George C. Scott, mais la figure légendaire de la scène shakespearienne, l’acteur britannique Edmund Kean, qui domine le XIXe siècle. On raconte dans les années 1820 que le voir à l’œuvre revient à observer un orage criblé d’éclairs. A travers Kean, la vedette du Parrain fait son autoportrait et décèle des failles comparables : une enfance tronquée et cette même obsession pour le travail, au point d’avoir l’impression de ne pouvoir exister en dehors. A chaque fois que Pacino évoque Kean c’est une manière de parler de lui tout en évitant de s’exprimer à la première personne. « C’est étrange, explique Pacino à Vanity Fair, en 1989, au début de sa carrière, Kean ne trouvait pas de travail. Ses traits étaient considérés trop foncés, sa taille trop petite. Les autres acteurs redoutaient devoir partager la scène avec lui de peur de se voir éclipsés. Quand il a quitté l’Angleterre pour rejoindre les Etats-Unis, le théâtre où il devait apparaître avait brûlé. Kean s’est réfugié au Canada où une tribu d’Indiens l’a accueilli. Il s’est à ce point intégré qu’il en est devenu le chef. D’ailleurs, quand il s’exprimait ce n’était plus que dans le dialecte de cette tribu. » « Un chat de gouttière » Pacino retrouve Richard III, en 1979, cette fois à New York, dans l’une des plus prestigieuses salles de Broadway, le Cort Theatre, et c’est une tout autre histoire. Il choisit d’incarner le tyran en costume, mais ses options ne satisfont personne, ni lui, qui trouve que la mise en scène ne tient pas la route, ni la presse, encore moins le public. « Si vous êtes au premier rang, il vous faut un parapluie », note un journaliste, faisant allusion à l’acteur qui hurle, postillonne, voire crache sur scène. Le New York Times, perturbé par l’accent trop américain de l’acteur, est catégorique : « Pacino n’a rien à voir avec le monde de Shakespeare. » Marthe Keller a assisté à une représentation. « Disons que j’ai vu Al bien meilleur. C’était la première fois qu’il était mal accueilli quand, auparavant, tout lui réussissait. Je pense que le public se demandait ce que l’acteur du Parrain pouvait aller faire dans cette galère, il ne possédait pas le background des acteurs shakespeariens. Vous savez, c’est un chat de gouttière, il vient de la rue, il n’appartient pas à la noblesse des comédiens, comme l’était Laurence Olivier. » Puis l’actrice ajoute : « Mais il n’a pas lâché avec Richard III. Bien au contraire, il avait bien l’intention de remettre ça. » Revenir, mais comment ? A la fin des années 1970, Pacino anime une série de séminaires dans des universités américaines. A cette occasion, il lit aux étudiants des poèmes et des extraits de pièces qui l’accompagnent. A chaque fois qu’il évoque Shakespeare, il constate les résistances de l’auditoire. C’est trop loin de nous, on n’y comprend rien. Trop obscur. L’acteur raconte alors en préambule l’histoire de la pièce qu’il présente, explique l’arrière-plan historique et s’adresse aux étudiants dans un langage qui leur est familier. Après quelques éclaircissements sur l’intrigue et le sous-texte, l’auditoire le suit immédiatement. A la fois une fiction et un documentaire L’idée de Looking for Richard naît à cette époque. Et de cette expérience. Pacino ne pense pas à une adaptation de la pièce au cinéma en collant au texte, comme l’a fait Laurence Olivier en 1955 – devant et derrière la caméra. Ni à l’approche similaire d’Orson Welles pour Macbeth (1948) et Othello (1951). Non, il opte pour une enquête sur Richard, le poussant à voyager dans le monde entier afin d’interroger des spécialistes sur les différentes approches de Shakespeare et de Richard. Faute de temps, il se limite à l’Angleterre et aux Etats-Unis. « J’ai voulu suivre trois pistes, explique Al Pacino à Michel Ciment dans un entretien pour la revue Positif, en 1997. D’abord l’expérience de réaliser un film à partir de cette pièce. Ensuite ce que signifie Shakespeare pour les gens d’aujourd’hui. Enfin, représenter des scènes de Richard III. Le résultat final devait être, selon moi, de proposer une mosaïque où ces trois directions s’entrecroiseraient, et de donner au public une impression de la pièce sans qu’il l’ait vue en entier. » Comment définir ce film ? Il est à la fois une fiction et un documentaire, une plongée dans l’histoire et dans le temps présent. Un grand film, peut-être pas, mais essentiel certainement pour comprendre Shakespeare et Richard III, pour montrer son actualité. Un film sur la transmission, qui est aussi une ode au métier d’acteur et au théâtre. Qui définit Pacino. Looking for Richard suit une troupe qui répète la pièce. Le spectateur découpe un puzzle constitué de matériaux multiples : des séquences de Richard III avec une quinzaine de comédiens dont Pacino en Richard, des répétitions, des réflexions sur le jeu et la mise en scène afin de rendre compréhensible un tel monument mais sans le dénaturer, des entretiens avec des historiens du dramaturge anglais, d’autres avec des acteurs ou metteurs en scène sur l’élocution du texte (John Gielgud, Peter Brook, Kenneth Branagh), des plans dans la maison natale du maître, à Stratford, en Angleterre. Le début donne le ton : Al Pacino, caméra à l’épaule, casquette de baseball vissée à l’envers sur le crâne, interroge des passants dans les rues de New York : que vous évoquent Shakespeare et Richard III ? Plus loin, il cabotine, se montre rigolard, raille les gardiens du temple, préfère l’émotion à l’érudition. Son Richard est un condensé de l’art de la séduction. Il est attachant et effrayant. Comme dans ses grands rôles. Le tournage de Looking for Richard s’étale sur quatre années, entre 1993 et 1996, le temps d’interviewer plusieurs spécialistes anglais et de s’adapter aux disponibilités des acteurs, notamment ceux qui ont déjà une carrière solide, comme Alec Baldwin, Kevin Spacey et Winona Ryder. « C’était toute une gymnastique pour joindre les comédiens, raconte Michael Hadge, le producteur de Looking for Richard. Il fallait leur parler directement, en évitant leurs agents, qui auraient demandé de l’argent, pour leur expliquer que nous ne pouvions pas les payer. Tous ont dit oui. Il a juste fallu, en raison des règles syndicales, rémunérer ceux qui apparaissent dans la captation de la pièce. » Son royaume pour un cheval Il faut également s’adapter aux disponibilités de Pacino, qui entre le premier et le dernier jour de tournage de Looking for Richard, apparaît dans trois films : L’Impasse (1993), de Brian De Palma, Instant de bonheur (1995), de James Foley et Heat (1995), de Michael Mann. C’est d’ailleurs en marge du tournage de Heat, à Los Angeles, acteur la semaine, réalisateur le week-end, que Pacino tourne la fameuse scène finale de bataille de Richard III, celle où le personnage titre est prêt à échanger son royaume pour un cheval. A l’heure où il officialise son mariage à l’écran avec Shakespeare, Pacino interprète ainsi deux de ses plus grands rôles : le gangster décidé à rentrer dans le rang mais trahi par son entourage dans L’Impasse, et le flic obsessionnel de Heat, fasciné par un génie-voleur, incarné par Robert De Niro, dont il a juré la perte. Impossible de ne pas voir l’empreinte de Richard III dans ces deux films. Il y a la voix off obsédante de L’Impasse, si proche des apartés de Richard III, où Pacino, sur le point de livrer son dernier souffle, dévoile au spectateur le récit des duplicités, des naïvetés et des incompréhensions qui l’ont amené à voir sa vie prématurément oblitérée. Encore plus fascinante est la scène d’anthologie de Heat : Pacino et De Niro face à face dans un restaurant, la première fois où les deux plus grands acteurs américains de leur génération partagent l’écran et où leurs personnages en arrivent à la conclusion que l’un d’eux doit mourir. De Niro insiste pour n’effectuer aucune répétition afin de préserver la spontanéité de la confrontation. Dans les nombreuses réécritures de cette séquence, celle qui est retenue, à la toute dernière minute, est suggérée par Pacino. Un aparté où il confie à De Niro : « Je fais souvent le même rêve. Je suis assis à une table de banquet avec toutes les victimes des meurtres que j’ai vues. Elles sont là à me regarder de leurs orbites noires, parce qu’elles ont des blessures grosses comme le poing. Elles me regardent et c’est tout. C’est ça le rêve. » Un patriarche Dans Looking for Richard, le passage de la pièce de Shakespeare sur lequel s’étend le plus Pacino est celui du sommeil de Richard. Hanté par les fantômes de ceux qu’il a tués, il n’arrive plus à passer de nuits paisibles. « Il est rejeté de sa propre personne et de son propre corps », explique Pacino. Et son Richard, de conclure à l’écran, pour relativiser son malaise : « Doucement, ce n’était qu’un rêve. » En 1996, tant les rêves que les cauchemars de Pacino deviennent la matière de ses grands films. Ce film, Pacino voulait le projeter dans les collèges et lycées. Il se retrouve, en 1996, au Festival de Cannes. Il séduit autant les shakespeariens que les amateurs de cinéma. Pour cela, il fallait trouver la clé qui va le structurer. Michael Hadge se souvient qu’au bout de plusieurs mois de montage, avec plus de quatre-vingts heures de pellicule, Pacino cherche toujours le centre de gravité de son film. Tout à coup, en visionnant les images, notamment celles de son visage en gros plan, avec sa casquette, en train de deviser avec ses complices sur le film, le spécialiste de Shakespeare, Frederic Kimball, et Michael Hadge, il a soudain la vision d’une troupe de théâtre itinérante, dont il est le chef de bande. « J’ai trouvé, s’écrie Pacino. Ce film est sur moi. Il est sur nous. Il met en scène notre bande. » Adolescent, Al Pacino s’est trouvé un jour dans un restaurant de Greenwich Village, où une troupe de théâtre déjeune. Il n’est alors rien et observe discrètement le rituel : leur table recouverte d’une nappe blanche à dentelles, avec des verres en cristal et des couverts en argent. Le tableau est presque surréel, Pacino pense à une toile d’Auguste Renoir. Le futur interprète de Richard III comprend que c’est d’abord la dimension ancestrale et familiale du métier de comédien qui l’attire. En 1996, Pacino inscrit son nom dans cette généalogie. Il devient, à sa manière, un patriarche à la tête d’une immense table que son talent autorise à présider. C’est cette histoire qu’il veut raconter, car il n’en existe pas de plus belle. Al Pacino en six films cultes (6/6). « Once Upon a Time... in Hollywood », le dernier Tarantino, sort en salle le 14 août. L’acteur y joue l’agent d’une star détrônée, en 1969, par la génération du jeune Pacino. C’est un effet de l’âge et la reconnaissance d’un talent immense : quand on lui offre un rôle, Al Pacino, entré dans sa 80e année, souhaite une proposition personnalisée. Sur mesure. Lorsque Quentin Tarantino pense à lui pour son nouveau film, Once Upon a Time... in Hollywood (en salle le 14 août), pour incarner Marvin Schwarz, l’agent d’une star de télévision et de cinéma sur le déclin, le cinéaste peaufine un contrat de mariage détaillé et argumenté. Pacino n’aura qu’une poignée de scènes, mais l’ouverture du film, où est distribué l’essentiel des cartes, lui est réservée. Ensuite, même absent, Pacino reste, avec ses lunettes rondes, son costume sur mesure, sa passion pour les cigares et le cognac, le fil rouge du film : celui qui rappelle à son client, Rick Dalton, incarné par Leonardo DiCaprio, que le monde dans lequel il évolue a disparu et que sa carrière d’acteur est derrière lui. Tarantino inscrit son film dans le Hollywood de 1969. Trois ans plus tôt, Rick Dalton s’en sortait plutôt bien, après avoir joué dans une série télé western, modelée sur le fameux Au nom de la loi, avec Steve McQueen, et quelques longs-métrages à succès. Mais voilà que Hollywood est secoué par plusieurs ondes de choc : Dustin Hoffman marque les esprits en 1967 dans Le Lauréat, de Mike Nichols, puis c’est le triomphe d’Easy Rider, de Dennis Hopper (1969), et le déferlement de la vague hippie à l’écran. Bref, les standards en cours depuis les années 1950 paraissent obsolètes. Le physique des stars a changé : elles sont devenues androgynes, fluettes, avec des cheveux longs – impensable vingt ans auparavant. Le Rick Dalton incarné par DiCaprio s’apprête à être détrôné par un profil d’acteurs ressemblant à s’y méprendre au Pacino révélé par Panique à Needle Park, en 1971. Et c’est justement ce dernier, désormais vétéran, qui lui annonce la mauvaise nouvelle. Tarantino tenait absolument à cet effet de miroir. Si Pacino avait refusé son offre, il aurait réécrit l’ouverture de son film. Une passion sincère Tarantino s’y prend souvent ainsi avec les comédiens issus d’une autre génération que la sienne, qu’il a admirés jeune, dont il a vu et revu les films, retenant leurs lignes de dialogues comme d’autres retiennent le répertoire des grands écrivains, manifestant pour eux une passion sincère, proche de l’émoi adolescent. La pierre angulaire de sa méthode est le come-back de John Travolta dans le rôle d’un tueur à gages héroïnomane pour Pulp Fiction (1994). Tarantino est frappé quelque temps avant par une phrase de la critique du New Yorker Pauline Kael qui, à la question d’un possible retour au premier plan de Travolta après des années de films médiocres, répondait par l’affirmative : « Il le doit, car le cinéma a besoin de lui. » Le réalisateur transforme ce mot d’ordre en mission. Il poursuit Travolta des mois durant, lui soumet même la coupure de presse comportant ladite phrase de Pauline Kael pour le convaincre d’accepter le rôle et redonner du lustre à sa carrière. Depuis près de vingt ans, l’acteur enchaîne les très mauvais films et les films passés inaperçus, qui accélèrent et dramatisent son déclin Avec Pacino, Tarantino doit user d’une pédagogie comparable. En commençant par lui rappeler les contours d’une carrière si peu lisible depuis près de vingt ans. L’acteur enchaîne d’abord les très mauvais films – La Recrue, de Roger Donaldson (2003), 88 minutes (2007) et La Loi et l’ordre (2008), de Jon Avnet. Il y a aussi les films passés inaperçus, qui accélèrent et dramatisent son déclin, qui renvoient aussi à son statut jauni. Dans En toute humilité (2014), de Barry Levinson, d’après un roman de Philip Roth, Pacino incarne un célèbre comédien de théâtre dépressif au point de devenir suicidaire après avoir perdu sa magie, son inspiration et sa confiance en lui. Dans Danny Collins (2015), de Dan Fogelman, il joue une rockstar sur le déclin qui n’a rien écrit d’original depuis trente ans. Au milieu du désastre, un film tient une place à part, Jack et Julie, de Dennis Dugan (2011). Non qu’il soit supérieur aux autres. Il est pire. Il constitue même le nadir de la carrière d’Al Pacino. Passé inaperçu en France, il est davantage remarqué aux Etats-Unis en raison de la tête d’affiche, l’acteur Adam Sandler, qui tient les deux rôles du titre : Jack, un richissime publicitaire, et Julie, sa sœur jumelle. Al Pacino joue tout simplement sa propre personne, sans rien omettre de sa biographie : un acteur célèbre, originaire du Bronx, traversant une crise professionnelle et identitaire. Ce rôle à part dans sa filmographie lui permet de se confronter à ce qu’il est : un acteur à la carrière éblouissante dans les années 1970 et 1980, qui ne trouve plus sa place dans le Hollywood actuel. « Je me vois tel que j’étais. Je ne sais plus où j’en suis », lâche-t-il dans une de ses répliques. Capacité à s’humilier En 2005, dans un texte publié dans la London News Review, Pacino écrit : « Brando est-il le plus grand acteur de l’histoire ? Sans doute pas. Le plus gros ? Peut-être. Mais le plus prompt à endurer l’humiliation à l’écran ? Oui, sans aucun doute. » Pacino n’est pas gros mais, avec Jack et Julie, il rejoint, dans cette capacité à s’humilier, son partenaire du Parrain. Quelques mois avant la sortie de ce film, une rétrospective intitulée « Pacino, années 1970 » est présentée en février 2011, à New York. Sept films au programme : Panique à Needle Park et L’Epouvantail, de Jerry Schatzberg (1973), les deux premiers Parrain (1972 et 1974), de Francis Ford Coppola, Serpico (1973) et Un après-midi de chien, de Sidney Lumet (1975), Justice pour tous, de Norman Jewison (1979). Cette rétrospective révèle en creux la piètre situation du cinéma américain : ces films, puissants mais parfois lents, complexes et durs aussi, auraient peu de chances de voir le jour dans les années 2010. Elle dit autre chose, que résume sans prendre de gants David Edelstein dans le New York Magazine : « Si j’étais mauvaise langue, je sous-titrerais ce festival “Quand Pacino était encore bon”. » Ces points de vue font écho à ceux de Stephen Holden dans le New York Times, qui écrit une chose à la fois déprimante et prometteuse : dans le Hollywood numérique, obsédé par les effets spéciaux et les super-héros, un acteur comme Pacino n’a plus sa place. Mais le journaliste ajoute : « Son talent d’acteur est magnifiquement intact. Peut-être est-il trop grand pour les films hollywoodiens, dont la portée artistique n’a cessé de se restreindre depuis les années 1970. » Trois films du renouveau Si le talent est intact, mais inadapté à l’époque, la solution est de faire renaître Pacino dans des films qui flirtent avec sa gloire passée, mais portés par des cinéastes prestigieux et ancrés dans le temps présent. Comment, alors, ne pas considérer sa présence dans deux films prochainement à l’affiche, excitants et très attendus, comme la confirmation de son grand retour ? A savoir Once Upon a Time... in Hollywood, de Quentin Tarantino, bientôt en salle, et The Irishman, de Martin Scorsese, attendu en novembre, cette fois sur la plate-forme Netflix – un opérateur très « nouveau monde ». Ajoutons qu’il devrait tourner, au printemps 2020, sous la direction de Michael Radford, Le Roi Lear, un rôle shakespearien que l’acteur a longtemps convoité tout en le maintenant à distance, troublé par sa proximité avec la mort. Ces trois films du renouveau se rejoignent par leurs liens avec le passé. Le nostalgique Once Upon a Time... in Hollywood immerge Pacino dans l’industrie du cinéma de 1969, une période où sa carrière se lance. Dans The Irishman, sous la direction de Scorsese, l’un des réalisateurs emblématiques des années 1970, il sera Jimmy Hoffa, le dirigeant syndicaliste disparu mystérieusement en 1975. Surtout, le recours à la technologie numérique fera apparaître un Pacino rajeuni, retrouvant miraculeusement son visage des années 1980, tout comme son partenaire à l’écran, Robert De Niro, qui incarne un tueur à gages. Cette utilisation du morphing est une nécessité puisque le film suit les deux personnages sur plusieurs décennies. Le retour de Pacino. Cette éventualité est évoquée dès 2011 avec le film Wilde Salomé, une exploration de la pièce d’Oscar Wilde qui retrouve la formule gagnante de Looking for Richard (1996) : il est à la fois cinéaste et acteur dans une œuvre qui mélange fiction et documentaire. Dans Wilde Salomé, Pacino s’empare d’une affiche de la pièce où l’on peut lire « Pacino est de retour », et il hurle : « Pacino est de retour ? C’est une question que j’ai dû gérer toute ma carrière. Que signifie une telle formule ? Comment pourrais-je me trouver à la hauteur d’une telle attente ? » « Tu es là pour filmer mon âme » Wilde Salomé reste le fondement permettant d’apprécier à sa juste valeur la décennie 2010 dans la carrière de Pacino. Ce film, il le finance, comme il a financé son essai sur Richard III. Deux ans plus tard, il prolonge l’exercice avec un autre film, Salomé, qu’il réalise aussi, mais qui est cette fois une captation de la pièce. Dans les deux cas, il s’agit pour l’acteur de parler de lui sans recourir à la première personne. Avec Salomé, se pose une autre question. Pourquoi, après Shakespeare, Pacino s’empare-t-il d’Oscar Wilde ? Il faut écouter ici Benoît Delhomme, le directeur de la photo du Marchand de Venise (2004), de Michael Radford, d’après Shakespeare, avec Pacino dans le rôle de Shylock, puis des deux Salomé. Pour Delhomme, l’acteur a « un truc » avec les artistes. Avec les grands écrivains. Il explique : « Personne n’imagine Al comme Oscar Wilde, mais lui s’estime plus proche de Wilde que de Shakespeare. Al s’identifie à Wilde, un artiste blessé. Les gens se demandent pourquoi Al hurle dans tous ses films, mais c’est parce qu’il est blessé. Je me souviens d’une fois, sur le plateau de Salomé, je le filmais – il était d’ailleurs particulièrement bon – et je m’arrête timidement sur lui. Je sais qu’en m’arrêtant trop brièvement sur son visage, il allait le remarquer. Et là, il explose, me convoque dans sa loge, devant une équipe terrifiée. Il me hurle dessus et me demande : “Qui est la star du film ?” Je lui réponds que c’est lui. Il me demande alors pourquoi je ne le filme jamais, et il se remet à hurler : “Tu es là pour filmer mon âme”. » Sur le plateau du Marchand de Venise, Benoît Delhomme est frappé par le cérémonial entourant Pacino, l’attention concentrée sur lui, le soin qu’il place pour en devenir, à sa manière, le coréalisateur avec Radford : « Nous avons commencé le tournage avec Jeremy Irons et d’autres acteurs. Quand Al est arrivé, il ne voulait pas être présenté aux autres comédiens. Il a fallu préparer son premier plan avec une doublure. Quand tout serait prêt, il arriverait. Il avait un côté bête sauvage, jamais un acteur ne m’a fait aussi peur. Je n’avais jamais vu ça. Dès qu’il arrivait sur le plateau, et même dans les parages, s’installait un silence colossal. Il me demandait juste où était sa marque au sol et l’on tournait immédiatement. » Un cercle magique autour de sa personne Pacino et Benoît Delhomme ne se parlent pas, échangent juste des regards et, en fonction de l’intensité de ceux-ci, le directeur de la photo comprend s’il a son accord. « Al a totalement dirigé Le Marchand de Venise de l’intérieur. On se rend compte qu’aucun metteur en scène ne sera à la hauteur pour lui. Il était gentil avec Michael Radford, mais il comprenait bien que ce n’était pas ça. On décrivait le plan à Al, qui ne se mêlait de rien. Mais, à l’intérieur du plan, il mettait en scène. Quand il fallait tourner une autre prise, il s’adressait à moi, pas à Radford. C’est lui qui décidait quelle prise serait la bonne. » Quand on vient chercher Pacino dans sa loge, l’acteur touche souvent le poignet des gens. Il fait ce geste furtif et étrange avec Benoît Delhomme le dernier jour du tournage du Marchand de Venise. Pour lui signifier qu’il est accepté dans son entourage, formant ainsi un cercle magique autour de sa personne, comme du temps où il incarnait le Parrain. Pacino mutualise aussi son travail, dégage de l’argent avec des films sans relief pour l’investir dans ce qui lui plaît A bien des égards, Pacino épouse un destin wellesien. Il inscrit ses pas dans ceux du réalisateur et de la vedette de Citizen Kane (1941), qui met à profit sa carrière d’acteur foisonnante pour financer ses mises en scènes shakespeariennes : Othello (1952), Falstaff (1966) Le Marchand de Venise (1969), Filming Othello (1978). Pacino mutualise aussi son travail, dégage de l’argent avec des films sans relief pour l’investir dans ce qui lui plaît. Et concentrer la majeure partie de ses efforts sur sa carrière de réalisateur ou d’acteur : Le Marchand de Venise, Wilde Salomé, Salomé et, donc, bientôt Le Roi Lear. L’aspect financier de la carrière de Pacino n’est pas sans lien avec l’écosystème qu’il a bâti. « Je pense vraiment qu’Al a tourné tous ces films lamentables pour se mettre en position de réaliser des films comme Wilde Salomé », assure le journaliste Lawrence Grobel, un intime de Pacino, auteur du seul livre d’entretiens réalisé avec l’acteur. Une autre raison peut expliquer l’incohérence de sa filmographie. Il y a quelques années, l’acteur perd plusieurs millions de dollars à la suite de malversations de son manageur, Kenneth I. Starr. Un spectacle assurance-vie L’enjeu financier est aussi la raison du spectacle An Evening With Pacino, que l’acteur rode aux Etats-Unis dès 2015, avant de tourner un peu partout, notamment en France, à l’affiche du Théâtre de Paris les 22 et 23 octobre 2018. Le prix des places ? Entre 90 et 950 euros. Pacino est seul en scène, il parle de sa vie et de ses rôles, lit Shakespeare et Oscar Wilde. Outre le plaisir de voir un grand acteur en chair et en os, le spectateur se voit offrir en prime une coupe de champagne et un selfie avec la vedette de Scarface. Bref, il apparaît raisonnable de considérer ce spectacle comme une assurance-vie. Mais l’acteur est intact. Son âge, le fait qu’il a mûri sur scène, s’y est toujours épanoui, constitue un argument de taille aux yeux de Tarantino. En le redécouvrant, en 2016, dans une pièce de David Mamet, China Doll, où il incarne un homme d’affaires véreux, mouillé dans la corruption politique et confronté à l’effondrement de son empire, Tarantino constate qu’il n’a jamais été aussi bon. « Je vais vous faire sourire, assure le réalisateur, mais Pacino est encore meilleur aujourd’hui qu’il ne l’était à l’époque de Serpico. Je ne vous dis pas que les films de son âge d’or ne sont plus à la hauteur, je vous signale juste à quel point son talent s’est bonifié avec les années alors que les films ne tenaient pas toujours la route. » Quand il prépare un rôle avec un acteur, Tarantino aime traîner avec lui, juste passer du temps, pour discuter de tout et de rien. A l’époque de Pulp Fiction, il montre à Travolta une lunch box à son effigie qui date de La Fièvre du samedi soir, un objet d’une valeur inestimable pour la vedette, qui en ignorait l’existence. Pour Pacino, c’est différent. Une lunch box, même personnalisée, ne sert à rien. Alors, Tarantino insiste pour qu’ils revoient ensemble, dans la salle de cinéma qu’il a achetée en 1997, le New Beverly Cinema, à Los Angeles, L’Epouvantail, de Jerry Schatzberg. Fragilité flagrante Pacino, qui tourne le film juste après Le Parrain, entretient un rapport compliqué avec ce voyage dans l’Amérique de la marginalité où deux vagabonds, lui et Gene Hackman, se rencontrent sur une route et entament un voyage à la recherche de leurs origines. Sans doute parce que ce très grand film est un échec commercial, en dépit de la Palme d’or obtenue au Festival de Cannes, en 1973, peut-être aussi parce que sa fragilité n’a jamais été aussi flagrante dans un rôle en permanence sur le fil du rasoir. Toujours est-il que Pacino ne veut plus entendre parler de L’Epouvantail. « Je l’ai supplié, raconte Tarantino. Je lui ai dit : “Al, fais-le pour moi, pour me faire plaisir, regarde au moins les dix premières minutes, celles où ton personnage et celui d’Hackman se trouvent chacun d’un côté de la route, se toisent, et puis, après une longue observation, décident de partager leur vie.” J’ai ajouté que c’était sa dernière chance de revoir L’Epouvantail en copie 35 mm, puisque vous savez que ma salle ne projette que des films en 16 mm ou en 35 mm, en aucun cas des copies numériques. » Al Pacino finit par dire oui. « C’était comme s’il n’avait jamais vu le film, commente Tarantino. Il n’en revenait pas qu’il soit aussi beau, le cadrage, la caractérisation des personnages. Il était à ce point ému qu’il est resté jusqu’au bout. » Al Pacino garde précieusement dans son armoire la garde-robe de « Serpico » Quelques jours plus tard, Tarantino et Pacino se retrouvent pour dîner. En cinéphile méticuleux, le réalisateur multiplie les questions sur L’Epouvantail, pour constater à quel point ce film enfoui remonte à la surface. Le cinéaste apprend que l’acteur a gardé les chaussons noirs qu’il porte dans les séquences où lui et Hackman sont incarcérés dans un pénitencier, là même où la vedette du Parrain se fait violer par un détenu. Pacino les a portés et reportés ces chaussons, jusqu’au moment, pour reprendre l’expression lâchée au réalisateur d’Once Upon a Time... in Hollywood, où « les souliers se lassent de [sa] personne ». Pacino conserve précieusement les reliques du passé. Il garde en particulier le costume de pilote de course, taillé pour lui par Roland Meledandri, que son personnage met dans Bobby Deerfield (1977) dès qu’il sort d’un circuit automobile. Pacino porte encore ce costume tous les jours, un an après la fin du tournage du film de Sydney Pollack, jusqu’à ce que l’habit perde sa forme. Il garde précieusement dans son armoire la garde-robe de Serpico – son personnage de flic intègre refusant la corruption ambiante multiplie les tenues parce qu’il travaille le plus souvent infiltré. Ces trésors accumulés traduisent moins une nostalgie qu’une incapacité à se défaire de certains rôles. Le musée de Pacino, constitué d’artefacts parfois usés jusqu’à la corde, signifie juste que, au moment où l’essentiel de sa carrière est derrière lui, il vit moins dans le passé que dans un présent perpétuel, où le dialogue avec certains personnages ne saurait s’interrompre. -------------------- .
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28/07/2019 22:49
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#23552
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Membre accro Groupe : Banned Messages : 6,820 Inscrit : 24/08/2011 Membre no 8,074 Tribune : Canapé |
Cimer pour ces articles de qualité.
Sinon tout autre chose, cette semaine j'ai revu la trilogie Matrix dans un cinéma de quartier avec à chaque fin de séance une petite conférence organisé par Rafik Djoumi. Rédac chef de l'émission Bits d'Arte entre autres. C'était vraiment passionnant de revoir ces films avec l'analyse dun type qui a disséqué toutes les scènes dans le moindre détail pour y rechercher toutes les références philosophique, biblique et scientifique |
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29/07/2019 10:39
Message
#23553
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#TeamZemmour ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 49,981 Inscrit : 25/02/2009 Lieu : Berlin, Zion Membre no 813 Tribune : Autre club |
Excellent le Pedro Almodovar
-------------------- J'en suis au même niveau.
Sauf que moi je peux pas enchaîner 2 jours de suite :ph34r: 1970 - 2010 |
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29/07/2019 13:04
Message
#23554
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![]() Il se fait retirer deux côtes, la suite va vous étonner ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 16,723 Inscrit : 09/01/2009 Membre no 91 Tribune : Non précisée |
Easy Rider hier soir sur Arte, jamais vu. Eh beh mon cochon
Par contre la fin abrupte est assez abominable, complètement surpris, je n'avais pas regardé l'heure de fin du film, j'ai pas compris ce qui m'arrivait. Je me suis empressé d'écouter la BO complète, "The Pusher" de Steppenwolf, je ne connaissais pas |
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30/07/2019 08:06
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![]() Pilier du forum ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 10,264 Inscrit : 18/01/2009 Membre no 595 Tribune : Viré du stade |
Excellent le Pedro Almodovar T'es surprenant. Easy Rider hier soir sur Arte, jamais vu. Eh beh mon cochon Par contre la fin abrupte est assez abominable, complètement surpris, je n'avais pas regardé l'heure de fin du film, j'ai pas compris ce qui m'arrivait. Je me suis empressé d'écouter la BO complète, "The Pusher" de Steppenwolf, je ne connaissais pas "We blew it", magnifique fin de film. -------------------- .
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30/07/2019 08:33
Message
#23556
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![]() Il se fait retirer deux côtes, la suite va vous étonner ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 16,723 Inscrit : 09/01/2009 Membre no 91 Tribune : Non précisée |
Non mais la fin est parfaite pour le message du film mais si tu n'es pas au courant et que tu ne sais pas dans combien de temps le film se termine, tu ne t'y attends pas.
Nicholson est incroyable dedans... |
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30/07/2019 08:41
Message
#23557
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![]() Pilier du forum ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 10,264 Inscrit : 18/01/2009 Membre no 595 Tribune : Viré du stade |
Non mais la fin est parfaite pour le message du film mais si tu n'es pas au courant et que tu ne sais pas dans combien de temps le film se termine, tu ne t'y attends pas. Nicholson est incroyable dedans... Oui c'est vrai, elle est abrupte. Premier rôle marquant de Nicholson. -------------------- .
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30/07/2019 09:47
Message
#23558
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Dieu tout-puissant ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 31,572 Inscrit : 12/01/2009 Membre no 502 Tribune : Non précisée |
Sympa Yesterday, Boyle sait s'emparer de pleins de sujets différents et y apporte toujours sa touche pop, puis la bande-son forcément géniale. C'est plein d'humour, frais et les scènes de concert sont très réussies. Un peu moins fan de la fin, mais ça passe, c'est l'été et ça met de bonne humeur.
Sinon, je me suis refait The Host, que je n'avais pas vu depuis sa sortie, je me rappelle pas avoir été aussi soufflé par la maestria de Bong Joon Ho. Incroyable film mêlant avec tellement de justesse tous les genres : tu as un film de monstre réussi, un drame réussi, une satire réussi...un sans-faute pour le coréen sur toute sa filmo, et il est encore jeune. |
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30/07/2019 09:54
Message
#23559
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![]() Dieu tout-puissant ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Groupe : Rédacteurs Messages : 26,573 Inscrit : 11/01/2009 Membre no 491 Tribune : Non précisée |
Nicholson et les fins abruptes/tragiques, ça va un peu de paire, non ?
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31/07/2019 13:23
Message
#23560
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![]() MONSIEUR LE GROS RAPPORTEUR ![]() ![]() Groupe : Members Messages : 4,785 Inscrit : 01/04/2013 Lieu : 75020 Membre no 9,205 Tribune : Canapé |
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