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Cinéma, Le topic du 7e art
Houdini
posté 26/03/2019 21:12
Message #23201


ROMAN ROY ENTHUSIAST
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"Le deuxième souffle" n'est pas dans le coffret, il n'existe que dans une version pourlingue René Chateau ou pour plus cher dans une belle version chez Criterion, du coup je vais peut être me saigner.

Pour Clouzot déjà fait l'an passé, à l'époque de la sortie du superbe coffret intégral DVD et suite à mon traumatisme "Sorcerer". Folie sur folie.

Sinon hier je me suis fait "Classe tous risques" de Sautet avec Belmondo et Ventura 41148013dff4d0.gif

T'es un chef NumeroStar wub.gif


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Flex.
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tlemcen322
posté 26/03/2019 22:45
Message #23202


Débutant
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Beau film "Classe tous risques". La musique de Georges Delerue est magnifique, notamment dans la scène ou Lino Ventura laisse ses enfants à une nourrisse et la réplique de Belmondo quand Lino lui dit que ses gosses se sont déjà fait des amis : "Oh tu sais à cet âge là, en 5 minutes tu te fais des copains"
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witchfinder
posté 27/03/2019 11:26
Message #23203


Dieu tout-puissant
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Citation (Houdini @ 26/03/2019 21:12) *
Sinon hier je me suis fait "Classe tous risques" de Sautet avec Belmondo et Ventura 41148013dff4d0.gif

Ah putain, c'est justement l'association parfaite avec "Le deuxième souffle".


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sukercop
posté 27/03/2019 13:27
Message #23204


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Tribune : Non précisée



Un bien joli film le dernier Clint.

Voilà, c'est fini maintenant, il approche les 90 ans, peu de chance qu'on le revoit. Je pensais que Gran Torino était le dernier, mais il apporte encore une dernière touche toute en mélancolie et parle plus que jamais de lui, c'était bien.
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NumeroStar
posté 27/03/2019 14:36
Message #23205


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Devant le succès à raison de la saga Delon, aujourd'hui topo sur le Guépard:


Delon en six films-cultes (2/6). Le cinéaste italien voit dans l’acteur, qui le subjugue, un talent, dont il veut faire sa créature. Dans « Rocco et ses frères », puis en  1961 dans « Le Guépard », qui lui vaut une reconnaissance internationale.


Pendant le tournage de Plein soleil, où il assiste René Clément, Dominique Delouche contemple un jour Alain Delon avec un peu plus d’insistance. Cette fascination doit moins à la stupéfaction qu’à l’impression de reconnaître un visage familier. L’acteur l’interpelle : « Mais qu’est-ce qui te prend ? » Sans se démonter, Dominique Delouche lui répond : « On ne t’a jamais dit que tu avais un visage dessiné par Botticelli ? » Delon se met alors à rougir : « Si. » Dominique Delouche : « Visconti ? » Delon : « Oui. »

Le nom de Luchino Visconti explique en partie l’assurance du jeune homme de 23 ans sur le plateau romain de Plein soleil. Car le cinéaste italien, auteur de Senso (1954) puis de Nuits blanches (1957), lui a fait une promesse. Il s’est engagé à lui offrir le rôle principal de son nouveau film, Rocco et ses frères, dont le tournage doit débuter en février 1960, un mois avant la sortie française de Plein soleil. Après l’enseignement auprès de René Clément, Delon sait aussi que son apprentissage doit passer par un second maître. Peut-être le plus grand.

Pour son « Rocco », qu’il projette de tourner à Milan, Visconti veut raconter l’histoire d’une mère et de ses cinq fils, partis dans les années 1950 de l’extrême sud de la botte italienne, la région la plus misérable du pays, pour s’établir au nord, dans la prospère et industrielle Milan. Ces fils doivent tout à leur mère, imagine le metteur en scène, et cette dernière les voit à travers le prisme déformant du rêve : forts, grands, magnifiques, invincibles. Au sein de cette fratrie, Rocco Parondi apparaît comme le joyau, l’ange du bien, détenteur d’une force brute, et pourtant pacifique, qu’il manifeste sur un ring de boxe. Un personnage inspiré du Prince Mychkine de L’Idiot de Dostoïevski.

Mais Visconti se heurte à un écueil. Il ne trouve personne pour interpréter Rocco, ni en Italie ni en France. Sans cet acteur providentiel, il renoncera à son film. Alors il parle longuement de ce Rocco avec Olga Horstig, l’agent d’Alain Delon et de grandes stars françaises – Michèle Morgan, Edwige Feuillère, Brigitte Bardot. Olga Horstig présente Delon à Visconti le 9 mai 1959, à Londres, au Royal Opera House, lors de la première de Don Carlo, l’opéra de Verdi dont il est le metteur en scène. Visconti regarde le jeune homme quelques instants, puis se tourne vers son agent et lui glisse à l’oreille : « J’ai vu Rocco. » Delon possède, selon le mot de Visconti, cette « mélancolie de qui se sent forcé de se charger de haine quand il se bat, parce que, d’instinct, il la refuse ». Visconti décèle en Delon un talent brut qu’il va s’efforcer de polir, avec d’autant plus de force et de sévérité que l’acteur, encore docile, a vocation à l’accompagner longtemps dans sa carrière.

« On sait, écrit Dominique Delouche, que la notion d’éblouissement a jalonné la vie créative comme la vie intime de Visconti. Cette fois, il avait reconnu le héros qui remplissait alors son imaginaire, Rocco. Sous les yeux d’une jet-society intriguée et complice, Visconti intronisait son invité, l’ex-petit engagé d’Indochine, dans un royaume où il se savait souverain : l’Art, l’Opéra et le “grand monde”. Alain y serait son féal. »

« On ne t’a jamais dit que tu avais un visage dessiné par Botticelli ? » Delon se met alors à rougir : « Si. » Dominique Delouche : « Visconti ? » Delon : « oui »

Ce rapport de maître à sujet est frappant dans une des premières interviews télévisées de Delon. Alors qu’il prépare son rôle pour Rocco et ses frères, il est interrogé sur un ring de boxe par le journaliste François Chalais, qui lui demande : « Est-ce que vous pensez être un être fort ou un être faible ? » « Un peu des deux », répond Delon, timide, torse nu, la sueur encore dégoulinante. Il est à l’évidence surpris par l’absolu d’une telle question. Il reprend alors son souffle et lâche : « Des moments très fort et des moments aussi très faible. »

A l’époque, Delon réclame encore de la sévérité au démiurge Visconti. « J’ai besoin qu’on me tienne, explique l’acteur, se comparant à un pur-sang à dompter, il ne faut surtout pas me laisser aller. » Durant le tournage de Rocco, dans une scène où il sort d’un combat de boxe, Visconti lui intime l’ordre de pleurer. Delon utilise de l’ammoniaque, fourni par une maquilleuse. Après avoir découvert le subterfuge, Visconti lui hurle dessus. « On avait entendu sa colère dans tout Rome. Il pouvait faire exploser le Colisée sur un coup de colère », dira Delon.
« Une prétention à l’exclusivité »

L’apprentissage de l’acteur se poursuit en mars 1961, au Théâtre de Paris, où Visconti met en scène le couple Romy Schneider-Alain Delon dans Dommage qu’elle soit une putain, du dramaturge élisabéthain John Ford. L’Italien doit faire face à plusieurs écueils. A commencer par la réalité de ce jeune couple, qui s’est formé sur le plateau de Christine (1958), de Pierre Gaspard-Huit, et surnommé par la presse « les fiancés de l’Europe ». Un couple qui laisse Visconti s’approcher de lui et observer sa passion. Cette place, le réalisateur s’en accommode avec plus ou moins de bonne volonté. « Luchino, expliquait Romy Schneider, aimait Alain parce qu’il flairait en lui la matière brute du grand acteur. Il entendait donner forme à cette matière, et ce, de façon tyrannique, avec une prétention à l’exclusivité. »

Ni Delon ni Schneider ne sont jamais montés sur une scène de théâtre. Visconti insiste alors pour qu’ils soient associés dans le spectacle à des grands comédiens de l’époque, Daniel Sorano et Sylvia Monfort, ce qui crée chez les deux débutants un sentiment de panique. A chaque répétition, Schneider sent le regard de Visconti, inquisiteur, impitoyable, proférant humiliations et menaces. Delon demande à s’absenter un moment pour négocier le rôle de Shérif Ali ibn el Kharish dans Lawrence d’Arabie, le film que prépare David Lean (finalement joué par Omar Sharif), et Visconti parvient à contrecarrer son désir. Le réalisateur italien garde la mainmise sur le couple. Et sa façon d’en parler est assez claire : « Je les avais complètement “fabriqués” en dehors des autres. »

Un peu moins de deux ans après Rocco, en décembre 1961, Delon retrouve Visconti pour le tournage du Guépard, et c’est une tout autre histoire qui commence. Car il n’est plus le même acteur. Il est devenu une star dominante. Sa faiblesse, il la réserve désormais exclusivement aux personnages qu’il incarne. L’effet du temps qui passe devient visible chez Delon, sur au moins un détail : le front. Les rides, au nombre de trois, dès qu’il plisse son visage, signifient, davantage que sa métamorphose en homme, un temps qui se comprime, une intensité spéciale. Le perfectionnisme, l’exigence, l’obsession du détail, la violence colérique, la ­rigueur disciplinaire et le pouvoir démiurgique de Visconti se sont exercés avec une intensité qui rappelle combien l’effet Delon repose sur une discipline spartiate.

Le guépard, ce félin unique en son genre, symbole d’une noblesse en voie de disparition, désigne, tant dans l’unique roman de l’aristocrate italien Giuseppe Tomasi de Lampedusa, en 1958, que dans l’adaptation de Luchino Visconti, Don Fabrizio Corbera, Prince de Salina. En 1860, après l’arrivée en Sicile des troupes de Garibaldi, ce dernier regarde, depuis son palais de Palerme, avec mélancolie et fatalisme, les bouleversements politiques menant à l’unification de l’Italie. Le Prince Salina, conscient de l’impossibilité d’arrêter le cours de l’Histoire, décide d’aider son neveu, Tancrède Falconeri, avec lequel il entretient une relation filiale, à rejoindre les combattants volontaires ayant suivi Garibaldi dans sa marche sur la capitale sicilienne.

Visconti intronisait son invité, l’ex-petit engagé d’Indochine, dans un royaume où il se savait souverain : l’art, l’opéra et le « grand monde ». Alain y serait son féal

Le Prince Salina est interprété par un acteur hollywoodien, Burt Lancaster. Tancrède, son neveu, prend chair avec l’interprétation complexe, magnétique, moderne, d’Alain Delon. « Tancrède, explique Visconti, n’est pas seulement un être vorace et cynique. Encore au début du processus de déformation et de corruption, on peut voir se refléter sur sa personne ces éclairs de civilisation, de noblesse et de virilité que l’immobilité féodale a cristallisés et précisément immobilisés sans espoir d’avenir chez le prince Fabrizio. »

Le Prince Salina qui voit, au soir de sa vie, mourir son univers, c’est bien entendu Visconti, 57 ans en 1963. C’est d’ailleurs ce qui rend Le Guépard extraordinairement vrai : Visconti pose sur ce monde, dont il est issu, un regard ordinaire. Tancrède Falconeri, qui passe des garibaldiens aux troupes de l’armée royale, c’est aussi Visconti, le Visconti de 30 ans qui a effectué le chemin inverse, de l’aristocratie vers le marxisme. Et le mariage entre Tancrède et Angelica, à laquelle Claudia Cardinale prête sa beauté, cette fille d’un propriétaire foncier que méprise Salina mais dont il a compris l’importance à cette période de bascule historique, évoque l’union de raison des parents de Visconti – son père, le duc de Modrone, avait épousé en 1900 Donna Carla Erba, riche héritière d’une fortune industrielle.
« L’humilier devant tout le monde »

Dans sa biographie du réalisateur italien, Visconti, Une vie exposée (Ed. Folio, 2009), Laurence Schifano décrit l’implication absolue du metteur en scène sur le plateau du Guépard : « Les quintaux de fleurs fraîches envoyées chaque jour par avion de San Remo, les vraies chandelles sur le lustre qu’il fallait remplacer toutes les heures, les cuisines installées à proximité de la salle de bal pour que les rôtis et les plats arrivent encore fumants, la lingerie disposée au rez-de-chaussée pour qu’on puisse nettoyer les gants blancs des hommes qui, au bout de quelques heures, se tachaient de sueur, les leçons de valse, de mazurka et de galop prodiguées par des maîtres à danser, les vaisselles d’or et d’argent prêtées par les plus anciennes familles de Palerme, la sélection minutieuse des figurants chargés d’apparaître dans les scènes de combats de rue, selon le type morphologique de chaque région. »

Cette obsession de la perfection et de la vérité de chaque accessoire transpire jusqu’aux comédiens, mis au service de la symphonie orchestrée par Visconti. Celui-ci choisit le tissu de la veste de Delon, la couleur de sa chemise, son bracelet, sa montre…

Nous avons demandé à Claudia Cardinale, 80 ans, rare et précieux témoin, d’évoquer à nouveau Le Guépard, et d’emblée, ce qu’elle retient, c’est l’exigence et l’intransigeance de Visconti. Par exemple l’ordre qu’il lui donne de ne pas se laver les cheveux, seul moyen de leur donner une lourdeur qui définit les coiffures romantiques. Elle se souvient aussi de la sévérité initiale que le cinéaste impose à Burt Lancaster afin de marquer son territoire devant cette star hollywoodienne. Et quand avec Delon elle visite les salles du palais, Visconti insiste pour qu’il n’y ait entre eux ni faux gestes, ni fausses caresses, ni faux baisers, insistant pour que les deux fiancés mettent la langue.
Entre complicité et hostilité

La relation entre Delon et Visconti ? Complexe, répond Claudia Cardinale. Entre complicité et hostilité. La complicité, c’est quand l’acteur sert d’instrument idéal, de porte-parole sur le plateau, afin de rendre plus fluide la dynamique de certaines séquences. « Il y a cette scène, explique Claudia Cardinale, où j’arrive dans le salon du palais, devant toute cette noblesse raffinée. Les regards convergent vers Angelica que j’incarne. Mon personnage n’est pas très bien habillé, la robe est un peu trop serrée, Angelica n’est pas de ce monde, mais il y a ce regard… Pendant la scène du dîner qui suit, Alain me raconte une histoire inconvenante de batifolage avec des nonnes, dont le spectateur est le témoin, ce qui provoque chez moi un rire un peu vulgaire, et toute la table, pétrifiée, me regarde. Mais pour obtenir ce rire – ce que l’on ne sait pas –, Alain m’avait susurré à l’oreille d’autres blagues, provoquant ce fameux rire que je n’arrivais plus à contrôler. »

Et puis il y a l’hostilité, l’humiliation même. Parce que Visconti sent que son acteur-relais lui échappe. Et là, Claudia Cardinale confie cette autre anecdote : « Visconti n’était pas satisfait de la façon dont Alain avait interprété la scène où nous courons à travers le grenier. Il en avait profité pour lui dire tout ce qu’il pensait, il voulait l’humilier devant tout le monde. » Face à un Visconti qui s’emporte, Cardinale et Delon se trouvent assis côte à côte sur un petit canapé. L’acteur lui prend la main et la serre pour se contenir, pour ne pas répondre. Il va presque la lui broyer.

Alain Delon et Luchino Visconti ne tourneront plus jamais ensemble. Le cinéaste sent-il durant le tournage du Guépard que son acteur ne sera plus jamais sa créature, qu’il est en train de lui échapper ? Car ce dernier a déjà la tête ailleurs : il pense au tournage imminent de Mélodie en sous-sol, d’Henri Verneuil, où il va retrouver un autre partenaire à l’écran, Jean Gabin. Un autre mentor. Visconti vit mal cette « infidélité ». Ce metteur en scène amoureux des hommes et admirateur des femmes comprend que façonner l’acteur Delon ne lui permettra pas de changer l’homme Delon. Car si ce dernier défie les catégories, la préservation, presque maladive, de son intimité devient la condition de sa liberté.

Lors d’un entretien au Nouvel Observateur, en 1969, le journaliste Olivier Todd fait part à Delon des rumeurs d’homosexualité qui circulent à son sujet. L’acteur répond avec le brio de celui qui incarne mieux qu’un autre une époque qui entend briser les carcans : « Si j’avais eu envie d’avoir des aventures avec des hommes, de quoi serais-je coupable ? En amour, tout est permis. Vous connaissez la formule de Michel Simon : “Si j’ai envie de ma chèvre, je m’enverrai ma chèvre.” » Puis d’ajouter, en hommage direct à Visconti : « Je me souviens de cette phrase du personnage de Putana dans Dommage qu’elle soit une putain : “Si une jeune fille se sent en disposition, qu’elle prenne n’importe qui, père ou mère, c’est tout comme.” »
Une photo sur sa table de nuit

La figure de Delon plane pourtant sur le reste de l’œuvre de Visconti. L’acteur doit incarner le frère incestueux de Claudia Cardinale dans Sandra (1965) que jouera finalement Jean Sorel. Puis Meursault dans L’Etranger, de Camus, qu’adapte Visconti en 1967 avec Mastroianni. C’est une erreur de casting, que le maestro italien déplorera. Car Delon avait donné son accord pour un rôle qui lui colle à la peau. Cet homme qui, dans le roman de Camus, dit ce qu’il est, refuse de masquer ses sentiments, éprouve à l’égard du meurtre qu’il a commis plus d’ennui que de regret véritable, c’est Delon.

Mais le producteur, Dino de Laurentiis, refuse le cachet réclamé par l’acteur. Delon peut réciter, encore aujourd’hui, et de mémoire, des passages entiers du roman de Camus, sa chute par exemple : « Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine. »

La vedette de Rocco et ses frères doit encore jouer le narrateur d’A la recherche du temps perdu que Visconti cherchera, sans succès, à adapter. Et pour son ultime film, en 1976, Visconti offre à Delon le rôle du mari du couple sadomasochiste de L’Innocent, mais l’acteur préfère décliner, disant qu’il ne veut pas voir Visconti dans une chaise roulante. On dit que Visconti avait posé une photo d’Alain Delon sur sa table de nuit, à la manière d’une image impossible qui hante ses films ; une image, et un vide impossible à combler.
« Mon jardin secret »

Lorsque la version restaurée du Guépard est présentée au Festival de Cannes, en 2010, quarante-sept ans après avoir obtenu la Palme d’or, Alain Delon se retrouve à côté de Claudia Cardinale. A la fin de la projection, il chuchote à sa partenaire, qu’il appelle encore parfois Angelica : « Tu as vu ? Ils sont tous morts. » L’acteur a conservé quelques objets du Guépard, comme ceux de plusieurs autres films. Sa maison est le musée de cette mémoire. Il ne revoit presque jamais ses films. « Cela remue des souvenirs, explique-t-il, trop d’images, et puis tous ces acteurs que l’on revoit vivants, vivre, alors que je sais qu’ils ne sont plus là. »

La scène que Delon préfère dans Le Guépard est celle du bal, ce moment où transparaît chez Tancrède une admiration pour le Prince Salina en même temps qu’une pointe de nervosité alors qu’Angelica s’approche de ce dernier pour l’embrasser. Salina montre alors aux deux amants, dans son boudoir, son tableau de chevet : La Mort du juste, de Jean-Baptiste Greuze, soit un homme agonisant, sur son lit, devant ses proches.

En 1979, Alain Delon écrit à François Truffaut : « La Chambre verte fait, en compagnie de Clément, Visconti, et quelques rares autres, partie de mon jardin secret. » Etonnante confession épistolaire de cet acteur bouleversé par le film le plus secret et le plus morbide de François Truffaut. Celui où les morts, devenus l’objet d’un culte, et donc exaltant l’imaginaire, apportent aux vivants un surcroît de vie. Ce culte des morts, partagé avec Truffaut, Alain Delon l’a manifesté très tôt, avec cette idée qu’en conservant leur souvenir il côtoie leur éternité.
Claudia Cardinale et Dominique Delouche ont été interviewés en juin 2018. Le livre de Dominique Delouche « Visconti, le prince travesti » (Hermann éditeurs, 2013) est l’un des plus justes consacrés au réalisateur italien. Les citations de Luchino Visconti sont extraites de « Luchino Visconti, cinéaste », d’Alain Sanzio (Persona, 1984), et de « Visconti, une vie exposée », de Laurence Schifano (Gallimard, 2009). Les propos d’Alain Delon sont issus, sauf mention contraire, de son entretien pour le bonus de l’édition DVD du « Guépard » par Pathé.
Alain Delon en six films-cultes : la série du « Monde »





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witchfinder
posté 27/03/2019 18:09
Message #23206


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Delon, quelle carrière quand même. Le mec a eu une putain de vie, même s'il a bien payé le prix.


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NumeroStar
posté 28/03/2019 14:18
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A titre personnel c'est l'un des plus grands aux cotés de Gabin, Simon, Depardieu, Belmondo.
Aujourd'hui son premier grand rôle : Plein Soleil


Alain Delon en six films cultes (1/6) Tourné en Italie, en 1959, le film de René Clément est le long métrage où l’acteur de 23 ans, peu connu jusqu’alors, devient une icône. Il irradie de beauté. La beauté du diable.

Avant d’entrer, le soir du 7 juillet 1959, dans l’appartement de René Clément, rue Henri-Martin à Paris, pour discuter de Plein soleil, le nouveau film du réalisateur de La Bataille du rail et de Jeux interdits, Alain Delon sait qu’il n’est encore rien.

Il a un visage, certes. Scruté par tous. Déjà admiré. Mais cet acteur de 23 ans se trouve encore en quête d’une postérité que ne sauraient lui offrir les cinq premiers films, « négligeables » selon lui, qu’il a tournés : Quand la femme s’en mêle (1957), d’Yves Allégret, Sois belle et tais-toi (1958), de Marc Allégret, Christine (1958), de Pierre Gaspard-Huit, Faibles femmes (1958) et Le Chemin des écoliers (1959), de Michel Boisrond.

Ce n’est presque rien, mais suffisant pour lui accoler l’étiquette de jeune premier, qui l’étouffe. Delon la trouve réductrice. Elle l’enferme dans une case qui ne correspond pas à l’acteur qu’il entend devenir. On met en avant son physique, comme s’il n’avait rien d’autre à proposer, n’avait aucun vécu.
Tellement plus à offrir

Lui sait aussi d’où il vient. D’une banlieue indécise, plutôt bourgeoise, à Sceaux, où il est né en 1935. Et d’une autre, plus populaire, à Fresnes, où son père et sa mère l’ont placé, plus tard, chez des parents nourriciers qui habitent un petit pavillon près de la prison. Il y a ensuite l’Indochine, engagé volontaire à 17 ans en 1953. Le très jeune homme tient à découvrir le monde, ce qui tombe très bien, car sa mère ne veut plus le voir.

Du territoire quelconque dont il s’est extrait, Delon ne peut qu’apprécier sa célébrité naissante. Même si celle-ci ne contient aucune promesse d’avenir : « Voir des gens qui chuchotent dans votre dos : “Voilà le nouveau James Dean…”, c’est quand même troublant, excitant, reconnaît-il, quand on vient de traîner son short en Indochine et qu’on a connu les cancrelats du cachot militaire. »

Il est convaincu qu’il a tellement plus à offrir… Du reste, ce visage, le regarde-t-on avec l’acuité nécessaire ? Comme s’il avait deviné que sa perfection le handicapait, Delon s’en remet au hasard, ou plutôt aux circonstances, pour altérer son visage, lui ajouter ce petit défaut qui va le rendre unique, et non plus seulement beau.
Une cicatrice sous le menton

A la manière de Brando en son temps, dont le nez s’est trouvé cassé lors d’un entraînement de boxe, en marge des répétitions, à Broadway, de la pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé désir, Delon arbore, après un accident de voiture survenu durant le tournage de Sois belle et tais-toi, une cicatrice sous le menton. « Prête-moi ta voiture », exige Delon au dialoguiste du film, Pascal Jardin. « Je n’ai pas le droit », répond ce dernier. Delon surenchérit, avec cette autorité qu’on ne lui soupçonne pas encore : « On s’en fout. » La quatre-chevaux effectue cinq tonneaux sous le tunnel du pont de Saint-Cloud.

Davantage que le véhicule parti en fumée, c’est le regard de Delon qui frappe Pascal Jardin : « Il me regarde, écrit ce dernier dans Guerre après guerre (Grasset & Fasquelle, 1973), de ses yeux métalliques aux reflets d’alliage suédois, qui me font penser au Musée de l’Inquisition de Ratisbonne, et aussi au supplicié des catacombes de Palerme, dont on vida le corps de son sang pour le remplacer par du mercure. C’est un regard doux et meurtrier. »
« Plein Soleil », de René Clément en 1960. Avec Marie Laforêt et Alain Delon.
« Plein Soleil », de René Clément en 1960. Avec Marie Laforêt et Alain Delon. PARI FILMS / PROD DB

Pour peu qu’on y prête attention, cette cicatrice, une fois repérée, envahit le cadre, vampirise la figure de l’acteur, obsède le spectateur. Elle devient cette marque étrange, raturant un visage par ailleurs parfait. Le signe d’un pedigree hors du commun. La différence qui, déjà, différencie Delon des autres acteurs.

Au moment de pousser la porte de l’appartement de René Clément, Delon est conscient de son pouvoir : ce regard doux et meurtrier, comme l’a écrit Pascal Jardin, dont l’acteur est fermement décidé à exploiter les possibles à l’écran. La lecture du scénario – une adaptation du roman policier Monsieur Ripley (1955), de l’Américaine Patricia Highsmith – l’a convaincu qu’il n’est pas fait pour le rôle qu’on lui destine.

Le personnage de Philippe Greenleaf, un bourgeois insouciant, qui profite de la dolce vita romaine et dilapide sa fortune de famille, ce n’est pas Delon. Alors, quand il pousse la porte, ce n’est pas seulement pour refuser ce rôle. C’est pour en négocier un autre. Le rôle principal du film en l’occurrence, celui de Tom Ripley, un ami d’enfance de Philippe Greenleaf, envoyé en Italie par le père de ce dernier pour le convaincre de retourner à San Francisco et qui, plutôt que d’exécuter sa mission, décide d’exécuter son compagnon et d’endosser son identité. Un personnage taillé sur mesure pour l’éphèbe discrètement balafré, pour l’acteur conscient de sa beauté du diable. Ce sera donc Ripley ou rien.
Un rôle destiné à Jacques Charrier

Ce soir du 7 juillet, les hôtes de René Clément sont disposés dans la salle de séjour à la manière de pions sur un échiquier. Cette mise en scène vise à intimider Delon, à le jauger, le juger, le placer dans un étau pour emporter sa décision. Il est assis à une table sur laquelle est posé le scénario de Plein soleil.

René Clément, 46 ans et deux Oscars à Hollywood, s’assoit à sa droite. C’est un homme à la crinière d’argent et à l’allure martiale, d’une élégance froide, et, comme toujours, tiré à quatre épingles. Beau, certes, mais dépourvu de la moindre séduction. En face, Robert et Raymond Hakim, les producteurs du film. Tout au fond de la pièce, loin des protagonistes, l’épouse et éminence grise du réalisateur, Bella Clément. Elle est sensiblement plus âgée que son époux, avec un physique beaucoup plus ingrat. Federico Fellini s’amusait de constater combien sa laideur contredisait son prénom.

A ce moment, le rôle de Ripley est destiné à Jacques Charrier. Ce beau jeune homme de 23 ans a plusieurs cartes en main. Il vient de s’imposer dans le film Les Tricheurs, de Marcel Carné, et dans Les Dragueurs, de Jean-Pierre Mocky. Son mariage avec Brigitte Bardot lui apporte une aura supplémentaire. Du reste, Robert Hakim lance immédiatement à Delon, pour couper court à tout débat, si tant est qu’il puisse y en avoir un : « Nous sommes heureux de vous confirmer que nous vous proposons le rôle de Philippe. » L’acteur jette un froid en répondant : « Je suis désolé, mais je n’en veux pas. » Il argumente pied à pied, explique combien ce choix est une erreur. Il ne peut incarner un fils de milliardaire, un enfant gâté, un héritier indolent pour lequel la vie est une fête.
« Rrrené chérri, le petit a rrraison »

Delon ne s’arrête pas là. Le voyou Ripley, argumente-t-il, c’est lui. Les frères Hakim se mettent à hurler : « Comment ! Vous osez ! Vous n’êtes qu’un petit con ! Vous devriez payer pour le faire ! » Delon reste inflexible : « Je n’en ai rien à foutre ! Je ne veux pas le faire et je ne le ferai pas ! »

Vers deux heures du matin, dans une ambiance lourde, et alors que les protagonistes sont épuisés, s’installe un long silence. Soudain rompu par Bella Clément. Son accent russe étire certaines consonnes, les « r » en particulier, avec une maladresse qui rend pittoresque son autorité sans pour autant l’éroder : « Rrrené chérri, le petit a rrraison. » Au fond de la pièce, elle semblait hors jeu. Il faut se méfier des images. Son influence auprès de son mari est certaine. Mieux que ça, son avis a souvent valeur d’ordre. Jusqu’à 4 heures du matin, elle explique à son « Rrrené chérri » pourquoi le petit a raison. Au bout de la plus longue nuit de son existence, Delon vient de signer son acte de naissance.

Delon deviendra ce jeune homme capable de sacrifier la vie d’un autre pour vivre quelques minutes de rêve éveillé, jamais aussi innocent qu’au moment où il commet son crime.

Les frères Allégret avaient expliqué à Delon à ses débuts : « Reste toi-même. Ne force pas. Marche, respire, souris comme tu l’entends. Tu es bien comme ça. » Sa spontanéité est l’atout de choix de l’acteur. Pourtant, plus que son naturel, ce sont les virtualités troublantes de Delon qui frappent le réalisateur de Plein soleil et le poussent à accepter ses exigences.

Il pressent tout un monde en lui, qu’il va se charger de faire émerger. Car tout ce monde colle à la complexité du personnage de Plein soleil, qui est aussi une façon de poser les termes de l’équation Delon, confie René Clément : « Le personnage de Plein soleil n’est pas facile à interpréter. L’innocence criminelle existe-t-elle ? Delon doit, dans le crime, préserver cette pureté qui ne se juge pas, parce qu’elle relève d’une psychologie qui nous échappe en échappant à la norme de l’humanité. » Delon deviendra ce jeune homme capable de sacrifier la vie d’un autre pour vivre quelques minutes de rêve éveillé, jamais aussi innocent qu’au moment où il commet son crime.

Le tournage de Plein soleil débute le 3 août 1959 en Italie, dans la province de Naples, à Ischia et à Rome. Delon a donc 23 ans. Ses partenaires sont Marie Laforêt, qui en a 19, dont c’est le premier rôle au cinéma et qui n’est pas encore la chanteuse qu’elle deviendra. A 32 ans, Maurice Ronet hérite du rôle de Philippe Greenleaf. Il faut cette jeunesse pour incarner l’oisiveté, l’insouciance et la liberté d’une époque. Au même moment, Fellini met en scène, lui aussi à Rome, avec La Dolce Vita, le même bonheur innocent que René Clément capte presque à son insu.
Les yeux bleus de Delon et les yeux verts de Marie Laforêt

A son insu parce que, en 1959, le réalisateur français passe pour un homme et un cinéaste d’une autre époque. Il est devenu l’un des emblèmes d’une « qualité française » au cinéma, brocardée par François Truffaut dans son fameux – et désormais très daté – article, paru en 1954 dans Les Cahiers du Cinéma, « Une certaine tendance du cinéma français ».

Et si la tendance est certaine, elle n’est pas à l’avantage de René Clément. Surtout durant l’année 1959. Le même été, Jean-Luc Godard tourne à Paris son premier film, A bout de souffle, avec Jean-Paul Belmondo et Jean Seberg, film étendard de la Nouvelle Vague. Les Quatre Cents Coups, de François Truffaut, vient de sortir en salles après avoir bouleversé le Festival de Cannes, tout comme Les Cousins, de Claude Chabrol, qui a triomphé au Festival de Berlin. Autant dire que c’est avec un esprit de compétition que René Clément affronte ce mouvement, en se nourrissant de l’air du temps, pour réaliser le film d’une époque.
« Plein Soleil », de René Clément en 1960. Avec Maurice Ronet et Alain Delon
« Plein Soleil », de René Clément en 1960. Avec Maurice Ronet et Alain Delon PARITALIA-TITANUS / PROD DB

Film impur et métissé, Plein soleil se situe au carrefour de deux esthétiques qui lui donnent sa force et définissent sa singularité. Un film entre deux chaises, en quelque sorte. D’un côté, il y a la Nouvelle Vague : René Clément coécrit son film avec Paul Gégauff, le scénariste des Cousins, de Chabrol, et il fait appel au chef opérateur Henri Decaë, qui vient d’assurer la photographie des Quatre Cents Coups. Mais il y a aussi, dans Plein soleil, l’esthétique du Swinging London naissant, sa culture pop et insouciante.

Le film est en couleurs – des couleurs lumineuses même, qui révèlent les yeux bleus de Delon et les yeux verts de Marie Laforêt –, à la différence des premiers opus de Truffaut, de Godard et de Chabrol. Et puis, c’est Maurice Binder qui conçoit le générique pop du film, deux ans avant de se voir confier celui de James Bond contre Dr No. Enfin, comme Truffaut avec Jean-Pierre Léaud, Godard avec Belmondo, Chabrol avec Brialy, René Clément se découvre avec Alain Delon un alter ego à l’écran. Un choix si marqué que l’acteur deviendra ensuite la star de ce qu’il désigne avec affection le « cinéma de papa » : René Clément, Julien Duvivier, Henri Verneuil, Jean Gabin. Des choix antithétiques avec ceux de la Nouvelle Vague.
Un tournage très difficile

Sur le plateau de Plein soleil, dans un tournage rendu très difficile en raison des nombreuses scènes en bateau – la mer, par sa versatilité, a toujours été une ennemie des cinéastes –, Delon bénéficie des égards dévolus à un jeune prince.

« Le seul domaine où Clément n’était pas tendu, se souvient Dominique Delouche qui était l’assistant du réalisateur sur Plein soleil, c’était sa direction d’acteurs. Il était subjugué par Alain Delon, un effet amplifié par la séduction exercée par ce dernier sur Bella Clément. Il était devenu l’enfant adopté. Delon incarne le jeune homme qu’aurait souhaité être Clément. Cela me faisait penser au rapport de Stendhal à ses jeunes héros, détenteurs d’une séduction que leur auteur n’avait pas possédée. Clément a mis cela chez Delon. »

La relation de maître à élève s’impose avec évidence. Delon sait ce qu’il lui manque : un apprentissage sérieux du métier et ce temps de réflexion qui permet de se mesurer avec ce que l’on attend de vous. Clément manifeste une conscience aiguë de ce qu’il peut apporter à ce diamant brut. « C’était très touchant, ajoute Dominique Delouche, de voir comment Delon acceptait de devenir le disciple, avec une telle humilité. Clément lui expliquait les choses le matin, en silence. Delon était émerveillé par la manière dont le metteur en scène lui expliquait son rôle. Souvent, au cinéma, on évite d’en dire trop au comédien, il faut laisser à l’acteur l’idée qu’il se fait du rôle, sinon tout se défait. Or, ici, tout se fait. »

La place privilégiée de Delon, son statut d’enfant prodige, place mécaniquement en porte-à-faux son partenaire Maurice Ronet. Cette mise à l’écart ne va pas de soi. Ne serait-ce que parce que l’acteur, qui formait, deux ans plus tôt, avec Jeanne Moreau le couple maudit d’Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle, remplit alors l’écran, par son charme et son détachement, comme aucun autre acteur français. C’était avant Delon. Ronet est tué par son partenaire dans Plein soleil. Mais il apparaît surtout comme un roi expulsé par le prétendant – plus jeune, plus beau, plus insolent. Un coup d’Etat effectué en douceur, sans que l’amitié entre les deux hommes s’en ressente – ils tourneront encore trois fois ensemble, dans Les Centurions (1966), La Piscine (1969) et Mort d’un pourri (1977).
La rage de l’affranchi

Maurice Ronet est fils de comédiens, issu du sérail donc, connu pour le détachement avec lequel il envisage sa carrière. Delon vient de nulle part, ancien commis charcutier, ancien soldat, il se trouve sommé de façonner son destin, quand son partenaire peut s’offrir le luxe de s’en remettre au cours des choses – c’est aussi le profil des deux personnages de Plein soleil. Lors du tournage, Delon évite de sortir le soir. Concentré, discipliné, il gère ses efforts, quand le dandy Ronet profite à plein des douceurs des nuits romaines et napolitaines.
En 1960, Alain Delon interprète Tom Ripley dans « Plein soleil », de René Clément.
En 1960, Alain Delon interprète Tom Ripley dans « Plein soleil », de René Clément. PARIS FILM-PARITALIA-TITANUS / PROD DB

Cette dynamique joue de façon intense dans Plein soleil. Jeune homme emprunté et de modeste extraction, humilié par ce fils de milliardaire arrogant, Tom Ripley ne se contente pas de l’assassiner, puis d’endosser son identité et de lui voler sa petite amie. Il l’efface des mémoires et des consciences. « On ne tient pas son couteau comme ça », explique dans le film un Ronet condescendant à un Delon humilié. Quand ce dernier lui enfonce plus tard son poignard, c’est avec la rage de l’affranchi.

Le sort réservé à Marie Laforêt, dans le rôle de Marge, la petite amie de Philippe Greenleaf qui succombe à la tentation de Tom Ripley, est beaucoup moins enviable. Le fonctionnement de cour installé par René Clément sur son plateau l’explique en partie. Il y a la table du commandant, avec le réalisateur, son épouse, Delon et Ronet. Tout au bout, donc éloignée et à l’abri des regards, il y a Marie Laforêt. Delon et Ronet l’appellent « la pucelle ». « Ils l’ont prise pour une starlette, se souvient Dominique Delouche. C’était au premier qui allait se l’envoyer. Elle, issue de la grande bourgeoisie du 16e arrondissement, élevée dans un institut catholique, les a tout de suite jetés. » Ce que l’actrice confirmera plus tard, sans diplomatie : « Alain Delon me prenait pour une conne, le fait que je joue une poufiasse n’arrangeait rien à l’affaire. »
Une star ambiguë et délicieusement complexe

René Clément est un cinéaste exigeant, un technicien avec le sens de la hiérarchie, qui envisage un tournage à la manière d’une suite de problèmes à résoudre et dont il a la clé. Pourtant, le défi le plus imposant posé par le film, une fois le couteau de Ripley planté dans le cœur de Philippe Greenleaf, au milieu d’une partie de cartes sur son bateau, provoquant une tempête, un affolement des éléments, comme si la nature réagissait de manière pulsionnelle au tabou du meurtre, ne doit rien à un quelconque raisonnement mathématique.

« La mer s’est fortement creusée, racontait René Clément, le vent a fraîchi d’un coup. On a filmé en une matinée ce qui nous aurait normalement demandé une semaine de travail. Decaë était à cheval sur l’étrave de la chaloupe, qui faisait des bonds de plus de deux mètres sur les vagues, essayant de fixer ce bateau qui arrivait droit sur nous, et nous nous demandions si Alain saurait éviter la dérive. » Lorsque le beaupré frappe Delon sur la tête, il manque de mourir. S’il avait reçu ce coup sur la tempe… C’est comme si ce déchaînement des éléments, inespéré pour Clément, presque fatal à Delon, devait tout à la force de conviction de l’acteur.

Plein soleil sort en salles le 10 mars 1960 et obtient, avec 2 400 000 entrées, le succès escompté. Delon assied son statut de star. Une star ambiguë et délicieusement complexe. La scène la plus sexuellement incarnée de Plein soleil montre Delon au moment où il envisage de prendre l’identité de Maurice Ronet.

Il revêt le blazer à rayures, la chemise blanche, les mocassins du même ton et le pantalon moulant de son ami. A ce moment précis, Delon ouvre un abîme. Il se pince les lèvres, se mire en narcisse maléfique, susurre des mots salaces en face de cette glace panoramique. Ronet apparaît alors, cravache à la main, le visage à la fois défait et interrogateur devant le théâtre de son compagnon auquel il intime l’ordre de retirer ses habits. Delon répond par cet air en partie insolent, en partie soumis. Un regard de sphinx. Ce garçon lumineux aux idées noires, impossible de le lâcher des yeux. Luchino Visconti, qui l’attend pour le tournage de Rocco et ses frères, l’a tout de suite compris. Delon, lui, n’a pas fini de hanter son époque.
Dominique Delouche a été interviewé en juin 2018. Les citations d’Alain Delon proviennent de « Alain Delon », d’Henri Rode (éditions Pac, 1982). Celles de René Clément du même livre d’Henri Rode, et du numéro de « L’Avant-Scène », du 1er février 1981, consacré à « Plein soleil ».
Alain Delon en six films-cultes : la série du « Monde »






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posté 28/03/2019 19:05
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Le trio magique : Ventura, Gabin, Delon. Intestable.

« Le Clan des Siciliens » : Delon et Gabin, un sacré couple
En 1969, Henri Verneuil réunit, pour la deuxième fois, Gabin et Delon. Mais le tournage est perturbé par l’affaire Markovic...


Ce film, les partenaires de Delon, Jean Gabin et Lino Ventura, le réalisateur, Henri Verneuil, et le producteur, Jacques-Eric Strauss, craignent qu’il l’abandonne. Nous sommes le 25 mars 1969. Il est 8 heures. L’équipe du Clan des Siciliens se trouve à l’aéroport de Rome pour le premier jour de tournage. Mais Delon n’est pas là. La scène prévue ce jour-là est celle où Jean Gabin, le parrain d’une famille mafieuse d’origine sicilienne installée à Paris, les Manalese, accueille son partenaire américain, perdu de vue depuis des années, pour visiter une collection de bijoux exposée à la Galerie Borghèse. L’objectif est de s’emparer du prestigieux butin et de le faire sortir d’Italie en détournant un Boeing de la ligne Rome-New York. Rien que ça. Dans le film, Roger Sartet, le truand incarné par Delon, dont Gabin et son clan organisent l’évasion, devient l’adjuvant permettant de rendre possible ce casse autrement impensable. Sans Delon, rien ne peut advenir.

Il est 9 h 10. Toujours pas la moindre trace de l’acteur. « Je me demandais franchement s’il allait arriver, se souvient Jacques-Eric Strauss, il n’avait plus donné de nouvelles depuis longtemps. » Si Delon n’est pas là dans la demi-heure, le tournage devient naufrage, et Le Clan des Siciliens n’est plus qu’un beau rêve.
Retrouvailles six ans après

A l’origine, Jacques-Eric Strauss achète en une matinée les droits du Clan des Siciliens, le roman d’Auguste Le Breton, pour Henri Verneuil, et commandite José Giovanni et Pierre Pelegri pour en écrire l’adaptation. Delon et Gabin donnent leur accord. Il s’agit de leurs retrouvailles, six ans après leur rencontre, en 1963, dans Mélodie en sous-sol, d’Henri Verneuil. Lino Ventura dit oui aussi, alors que son rôle de commissaire, absent du roman, reste à écrire.

Mais pour lui, la perspective de croiser à nouveau Gabin après Razzia sur la chnouf (1955), de Henri Decoin, et de partager à nouveau l’affiche avec Delon, deux ans après Les Aventuriers (1967), de Robert Enrico, constitue une garantie suffisante. En fait, les trois acteurs sont ravis de se retrouver, rappelle Delon. « Gabin était heureux de tourner avec « le Lino », comme il l’appelait, et avec « le Môme », comme il m’appelait, Lino était tellement béat d’admiration devant « le Patron » – et moi de même –, devant Gabin, qui était le maître, le patriarche et notre maître à tous que tout ça a fait que la mayonnaise a pris. »


Mais cette mayonnaise a d’abord eu du mal à prendre. Jacques-Eric Strauss reçoit une lettre de Georges Beaume, l’ami et imprésario de Delon, expliquant que son client a trouvé épouvantable le scénario du Clan des Siciliens. Delon en conviendra plus tard, il n’avait en fait rien lu. C’était juste le point de vue de son imprésario. Jacques-Eric Strauss trouve alors le moyen de contourner l’obstacle. Comme il travaille pour le bureau français de la Fox et que Delon est sous contrat avec ce studio américain, il explique à la star qu’en renonçant au film, les frais déjà engagés seront à sa charge. Cette fois, Delon lit le scénario et lève toute réserve, se contentant de formuler deux ou trois remarques sur son rôle, « d’une incontestable pertinence », reconnaît Jacques-Eric Strauss.
Modèle idéal pour Hollywood

Au-delà du prestigieux label Twentieth Century Fox apposé sur Le Clan des Siciliens, le polar de Verneuil est un film sur lequel le patron emblématique de la firme américaine depuis 1944, Darryl F. Zanuck, a son mot à dire. Au point d’imposer, bien qu’aucun rôle n’ait été écrit pour elle, sa compagne de l’époque, Irina Demick, une mannequin et actrice apparue dans Le Jour le plus long (1962), la production titanesque de Zanuck sur le débarquement en Normandie.

Depuis les années 1960 et jusqu’à la fin des années 1970, les grandes firmes américaines produisent en direct des films français : Adèle H., La Chambre verte et L’Homme qui aimait les femmes, de François Truffaut, Le Roi de cœur, de Philippe de Broca, Le Voleur, de Louis Malle, avec Jean-Paul Belmondo. Les films de Verneuil, aussi, modèle idéal pour Hollywood d’un réalisateur capable de concurrencer les Américains sur le terrain du cinéma de genre et d’action. Chaque scène dialoguée du Clan des Siciliens sera, en prévision de sa sortie américaine, tournée en français et en anglais. Depuis le succès phénoménal, aux Etats-Unis, de Plein soleil et de Mélodie en sous-sol, Hollywood rêve toujours de Delon. Le passage, compliqué, entre 1964 et 1966, de l’acteur à Los Angeles doit beaucoup à sa réticence à vivre en Californie, à la nostalgie de sa langue, à l’amour d’une culture et d’un mode de vie français. Bref, la partie ne se joue pas selon ses règles, et donc ça n’a pas marché.

Un homme seul sort de l’avion, son pilote : Alain Delon. Il arbore une chemise noire, largement ouverte, et un immense sourire

A 9 h 15, l’équipe du Clan des Siciliens aperçoit, à travers l’immense baie vitrée de l’aéroport de Rome, un tout petit avion pointer dans le ciel. Cette tache dans l’horizon grossit peu à peu, pique brutalement sur le tarmac et atterrit en douceur. Un homme seul sort de l’avion, son pilote : Alain Delon. Il arbore une chemise noire, largement ouverte, et un immense sourire. Aujourd’hui encore, les images de cette arrivée restent impressionnantes. On lit sur le visage de l’acteur le bonheur de se retrouver ici, la certitude de produire son effet, tant auprès de l’équipe de tournage que du personnel de l’aéroport, qui n’en revient pas de voir débarquer ainsi la plus grande star européenne. Delon a l’habitude de ces arrivées théâtrales et royales, dans la vie, sur certains tournages, souvent en pilotant son hélicoptère. Mais là, il fait plus fort avec un avion. Il traverse alors la piste, et sa présence suffit à neutraliser le trafic aérien. Rien autour de lui. Ou presque. Car arrive Gabin, pressé de commencer sa journée de travail. Delon se jette dans ses bras et lui lance : « Patron, on va tourner ensemble, ça fait plaisir. »

Gabin a juste le temps de remarquer, par un bref coup d’œil, que son partenaire ne s’est pas donné la peine de saluer son producteur. Delon estime que ce dernier qui, à 32 ans, se révèle d’un an son cadet, lui a forcé la main. « De toute façon, souligne Jacques-Eric Strauss, Delon est cyclothymique. Un jour, il vient et vous embrasse, l’autre jour, il ne vous dit plus bonjour. Il faut le prendre comme il est. » Gabin a pour usage de régir les relations sur un tournage. Cet ordre commence par les civilités. L’acteur de La Grande Illusion surnomme d’emblée Strauss « petit con » – une marque d’affection chez lui. Il demande au « petit con » de s’approcher de lui, fait signe à Delon et lui dit : « Dis donc, tu n’es pas très poli, tu ne dis même pas bonjour à ton producteur. »

Delon arrive quand même par s’inviter dans le film en proposant un cachet à la baisse

L’acteur ne manquera plus jamais à son devoir de courtoisie. « Gabin jouissait d’un énorme respect, souligne Bernard Stora, l’assistant de Verneuil sur le film. Il avait 65 ans à l’époque, faisait très vieux avec sa carrure, ses cheveux blancs, sa démarche. On ne mouftait pas devant lui. Son autorité se marquait pas sa seule présence et les films qu’il avait faits. Quand cela n’allait pas, il intervenait pour mettre tout le monde d’accord. Il était le patron sur le plateau. Même Verneuil n’avait pas l’ascendant sur lui. »

Un des rares films dont Delon gardait un souvenir particulier est Touchez pas au grisbi, le plus grand film policier français des années 1950, qui marque le retour en force de Jean Gabin dans le cinéma français depuis son départ du pays, en 1940, pour rejoindre les Forces françaises libres. Il le découvre à Saïgon en 1954 ou 1955, raconte Delon, quand il est soldat en Indochine. A ce moment, il est à mille lieues de penser qu’il va devenir comédien. Alors jouer avec Gabin…

Mais au début des années 1960, il est impressionné par le duo Gabin/Belmondo – par Gabin surtout – dans Un singe en hiver, l’adaptation du roman d’Antoine Blondin par Verneuil. Au point que son agent, Georges Beaume, fait des pieds et des mains pour qu’il obtienne un rôle dans Mélodie en sous-sol. La Metro-Goldwyn-Mayer estime que la présence de Gabin est suffisante dans le rôle d’un caïd à cheveux blancs et que, pour jouer un acolyte aux dents longues, un inconnu suffira – le tandem doit organiser un casse dans les sous-sols du casino de Cannes. Delon arrive quand même par s’inviter dans le film en proposant un cachet à la baisse.

« Bonjour Monsieur Gabin. Enchanté de vous connaître »

Mais pour finaliser son arrivée, il faut l’approbation de Gabin. Jacques Bar, le producteur français du film, organise le rendez-vous entre les deux comédiens dans son bureau de la rue Pierre-Charron. L’examen se révélait parfois impitoyable pour certains candidats. Pierre Louis, qui a joué un inspecteur face à Gabin dans Razzia sur la chnouf, explique bien le défi à relever : « A ce monstre sacré, on plaisait ou on ne plaisait pas. Il était parfaitement inutile d’esquisser un brin de cour, de faire assaut de flagornerie, de multiplier les attentions pour obtenir ses faveurs. “Tout ou rien.” A cette devise se limitait son choix éclairé et définitif. »

A peine Delon franchit-il le seuil de la porte que Gabin se lève et lui lance un « Bonjour, monsieur », ajoutant un geste inhabituel de sa part : il lui tend la main. « Bonjour, monsieur Gabin. Enchanté de vous connaître », répond poliment Delon. Le « monsieur Gabin », cette marque de respect sèche et sincère, conquiert l’intéressé. « J’ai toujours été amoureux et respectueux des hiérarchies de ce métier, explique Delon. Le simple fait qu’un homme comme Jean Gabin se soit levé pour me dire “Bonjour, monsieur” et me serrer la main m’a laissé pétrifié sur place. D’autant que j’en avais plein la vue de cet homme qui, l’année de ma naissance, avait déjà tourné Pépé le Moko. »

Durant le tournage d’Un singe en hiver, la décontraction et la facilité de Jean-Paul Belmondo, y compris dans ses relations avec lui, déroutent Gabin. Alors que sur le plateau de Mélodie en sous-sol, la tension manifestée par Delon, la pression qu’il se met sur les épaules, et une attention de tous instants à l’égard de Gabin, impressionnent autrement ce dernier. Le jeune acteur n’hésite pas à aller au-devant de son aîné pour le saluer quand celui-ci arrive le matin ou à lui téléphoner pour prendre de ses nouvelles quand il ne tourne pas. En fait, Gabin retrouve en Delon l’acteur qu’il fut à ses débuts. La théâtralité exubérante de Belmondo lui reste si éloignée quand le mutisme de Delon, son comportement réfléchi sous des dehors d’adolescent futile, ne peuvent que le séduire. Les deux hommes ont aussi des sujets communs. Tous deux sont d’anciens soldats, dans la marine. Tous deux ont commencé par un tout autre métier. Gabin descendait les escaliers des Folies-Bergère, derrière Mistinguett. Un peu comme Burt Lancaster, ancien trapéziste, le partenaire de Delon dans Le Guépard. Delon estime appartenir à cette famille d’acteurs façonnés par les circonstances de la vie.
Le rôle de mentor

Gabin est le seul acteur avec lequel Delon fonctionne en couple. Avec Jean-Paul Belmondo, c’est une autre histoire. Le tandem qu’ils forment dans Borsalino (1974), de Jacques Deray, est teinté de rivalité. Même si tous deux côtoient les cimes du box-office, l’acteur emblématique de la Nouvelle Vague évolue dans un univers parallèle à celui de Delon. Maurice Ronet, que Delon tue dans Plein Soleil et qu’il noie dans La Piscine, apparaît davantage comme son vassal. A Gabin est dévolu le rôle du mentor.

Le tournage du « Clan » a lieu en grande partie dans les studios de Saint-Maurice, en banlieue parisienne. Comme l’explique Bernard Stora, il faut imaginer le plateau à la manière d’un camp au Moyen Age, où il y aurait, pour les trois acteurs phares, la tente du prince, celle du duc, ou encore celle du comte. Gabin a son habilleuse et sa maquilleuse personnelles. Ventura, de même. Pas Delon. Ce dernier entretient des rapports courtois avec tout le monde mais ne copine pas. Cela ne l’intéresse pas. « Il venait pour tourner, précise Bernard Stora. Il vous disait : “A quelle heure vous avez besoin de moi ? On lui répondait 16 h 15. » A 16 h 14, la porte du studio s’ouvrait, et Delon entrait. Entre-temps, soit il était dans sa loge, ou dehors, à la porte du studio. »
Un entrefilet anodin dans la presse

Mais quand il ne tourne pas, Alain Delon doit gérer un emploi du temps inhabituellement chargé. Cinq mois plus tôt éclate ce que l’on appelle l’affaire Markovic. Celle-ci apparaît sous la forme d’un entrefilet anodin dans la presse. Le Monde du 3 octobre 1968 écrit : « Le corps d’un homme enveloppé dans une toile de plastique a été découvert dans un ravin près d’Elancourt (Yvelines). Agée de 30 à 40 ans, la victime porte une profonde blessure à la tête qui, l’autopsie l’a confirmé, est à l’origine de la mort. Une enquête est en cours. » Ce banal fait divers va se transformer en affaire d’Etat.

La victime en question s’appelle Stevan Markovic. Il est yougoslave, habite un deux pièces dans l’hôtel particulier d’Alain Delon, rue de Messine, à Paris. Il a été le garde du corps de l’acteur, sa doublure lumière aussi. D’autres choses encore. Il a entretenu une brève liaison avec Nathalie Delon alors qu’elle se trouvait en instance de divorce avec Alain Delon. Markovic est retrouvé le 1er octobre au milieu d’une décharge publique. Les regards se tournent vers Delon, qui est à Saint-Tropez en plein tournage de La Piscine. Dans cette affaire, il n’est pourtant ni suspect ni témoin, et ne sera jamais inculpé.

Seulement, quelques jours avant sa disparition, Markovic écrit à son frère une lettre lui expliquant qu’en cas de malheur, il faudrait chercher du côté d’un certain « AD » et de François Marcantoni. Ce dernier, une des figures du milieu, est un ami de l’acteur. L’affaire prend ensuite un tour politique lorsque circule la rumeur que Markovic négociait des photos compromettantes, prises lors de parties fines, où figurerait la femme d’un homme politique, nommément Claude Pompidou, l’épouse de l’ancien premier ministre Georges Pompidou, qui a quitté Matignon en juillet 1968.
Cinquante-deux heures de garde à vue

La police fait son travail, contraignant Delon à cinquante-deux heures de garde à vue et d’interrogatoires. Cette pression pèse sur le tournage du Clan des Siciliens. « C’était horrible, se souvient Jacques-Eric Strauss. Il y avait tous les jours deux inspecteurs sur le plateau. A la fin du tournage, Delon partait porte Maillot. On ne savait pas si on allait le revoir. J’attendais dans les couloirs, le commissaire sortait de temps en temps et me disait : “Je crois que ce soir, on le tient.” Ça a duré une semaine mais, à la fin, ils n’ont rien trouvé. Delon a assuré complètement le tournage, il n’a jamais laissé cette affaire perturber son travail. »

Delon redoute l’effet produit par l’une des séquences les plus spectaculaires du film. Non pas celle, dans toutes les mémoires, du Boeing survolant les tours jumelles de Manhattan, puis atterrissant avec sa précieuse cargaison sur une autoroute de la banlieue de New York. Non, la scène qui l’inquiète repose sur la seule précision de ses gestes : menotté, il s’évade sur la route entre le Palais de justice et la prison de Fresnes en sciant le fond de son fourgon cellulaire. C’est une idée de scénariste, inspirée de la véritable évasion de René « la Canne ».

Mais Delon craint que cette séquence soit détournée à d’autres fins : « Je vais tourner ma première scène du Clan des Siciliens au Palais de justice, dans ce qu’on appelle “la souricière”. Je dois sortir du fourgon et entrer dans le cabinet du juge d’instruction. C’est un contrat signé il y a dix-huit mois. Aujourd’hui, je suis à la merci d’une photo, à la “une” des journaux avec des menottes. » Le Clan des Siciliens sort en décembre 1969. Six mois plus tôt, Georges Pompidou est élu président de la République. Les derniers feux de l’affaire Markovic se sont dissipés.
Lino Ventura et Alain Delon.
Lino Ventura et Alain Delon. Fox Europa /Prod DB

Un sondage Ifop de 1969, sorti au plus fort des rumeurs sur Delon, classe l’acteur parmi les dix personnalités les plus estimées par les Français. Ses trois films qui remporteront le plus grand succès sont Le Clan des Siciliens (4 800 000 entrées), Borsalino (4 700 000 entrées) et Le Cercle rouge (4 300 000 entrées), tous sortis en 1969 et 1970, juste après l’affaire Markovic. Un effet Delon ?

C’est, pour certains, un souvenir d’enfance. Et pour ceux qui découvrent plus âgés Le Clan des Siciliens, un fait marquant de leur vie d’adulte. Dans le film, Delon aperçoit le corps nu d’Irina Demick sur la plage, le fameux mannequin imposé par le producteur Darryl Zanuck. Fulgurante et lumineuse apparition. Delon, cheveux longs, lunettes fumées, blouson crème à même le corps, tourne tel un prédateur autour des formes de sa proie.

La musique qui accompagne la scène est un air à la guimbarde, entêtant, d’Ennio Morricone. Il colle si bien à la respiration de Delon qu’il est difficile de l’effacer de sa mémoire. Delon se révèle en 1969 l’acteur le plus érotique du monde. C’est une chose entendue pour la génération 1968 qui réfrène, à la manière d’un secret inavouable, sa passion pour une star, à ses yeux, trop proche du pouvoir gaulliste. Mais c’est une révélation pour une autre génération, plus jeune, étrangère aux soubresauts de la révolution, dont l’adolescence consiste à observer les gestes assurés et insolents de cet homme, espérant un jour les reproduire. Autrefois élève, Delon se mue à son tour en mentor. Le mentor d’une génération.
Jacques-Eric Strauss et Bernard Stora ont été interviewés en juin. Les propos d’Alain Delon proviennent de Jean Gabin inconnu, de Jean-Jacques Jelot-Blanc (Flammarion, 2014) et de Delon - Les Femmes de ma vie, de Philippe Barbier (éditions Carpentier, 2011).
Alain Delon en six films-cultes : la série du « Monde »


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Rjay
posté 29/03/2019 16:44
Message #23210


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Merci pour ces articles.

Ça donne envie de revoir ces films.


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witchfinder
posté 29/03/2019 18:00
Message #23211


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La musique (entre autres) de ce film est géniale, le truc qui te reste en tête indéfiniment.


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AdoSubversif1825
posté 29/03/2019 21:34
Message #23212


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Des acteurs de cette trempe, y en a plus malheureusement sad.gif
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sukercop
posté 29/03/2019 23:29
Message #23213


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Je sais pas si c'est une question de talent, mais c'est sûr par contre qu'il y a un truc avec les productions françaises. On peut trouver des oeuvres sympas...Mais ça va pas très loin, on sait plus faire de polars...
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ChosenMilo
posté 31/03/2019 16:42
Message #23214


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Mardi dernier J'ai vu Shazam au Grand Rex

Bonne surprise, je m'attendais a un sketch entier de 2h, il s'avere que les bandes annonces on ete trompeuses & qu'il ont caché pas mal de choses concernant l'histoire .
Au final ce n'est pas si Enfantin que cela et c'est meme tres orienté" Horreur" par certains moments.
Zachari Levi fait le taf, mais celui qui creve l'ecran c'est Jack Dylan Graser, lui il est enorme.
c'est un bon film qui merite clairement une franchise, comme Aquaman.


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DelSpooner
posté 01/04/2019 17:26
Message #23215


Kylian tout-puissant
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Ce casting kratos77.gif


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romano
posté 01/04/2019 19:06
Message #23216


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The Highwaymen, des avis?


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PsgVolcano
posté 01/04/2019 19:22
Message #23217


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Citation (romano @ 01/04/2019 20:06) *
The Highwaymen, des avis?


C'est honnête. ph34r.gif Il n'y a pas beaucoup de rythme mais le duo d'acteurs fait le job.


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SuperThug
posté 01/04/2019 20:40
Message #23218


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Citation (PsgVolcano @ 01/04/2019 20:22) *
C'est honnête. ph34r.gif Il n'y a pas beaucoup de rythme mais le duo d'acteurs fait le job.


C'est effectivement un peu mou, tu sens bien passer les 2h mais ne connaissant pas l'histoire en détail j'ai bien aimé.
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noa
posté 02/04/2019 10:50
Message #23219


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Il me reste 30 minutes à regarder mais pour l'instant je trouve ça vraiment pas mal.
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Suceur Di Macron
posté 03/04/2019 05:29
Message #23220


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Par contre Dumbo : bof. On avait vendu ça comme un retour de Tim Burton mais on voit à peine que c'est lui le réal sauf vite fait en seconde partie de film dans Dreamland. Film cool pour les enfants mais oubliable.
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